Dans les coulisses de la légende Egon Müller

Retour sur une de nos visites magiques de cet été, au cœur de la Mosel, chez le légendaire Egon Mûller et récits de dégustation.

Nous arrivons au domaine en cette journée exceptionnellement chaude pour la région – nous sommes le 19 juillet et il fait plus de 35 degrés. Nous sommes accueillis par Lars qui travaille dans les vignes du domaine depuis 4 ans. Il sera notre hôte pour l’après-midi.

Le domaine est entouré de vignes plus pentues les unes que les autres, ce qui est assez impressionnant, nous ne pouvons qu’imaginer le travail que cela représente… Ce sont les vignes du Scharzhofberg que nous voyions, et qui représentent 8 des 28 hectares du domaine, planté intégralement de Riesling. Egon Müller est d’ailleurs le plus gros propriétaire de ce cru.

Lars nous explique que tout le travail des vignes est effectué à la main, neuf personnes travaillent en permanence sur le domaine. Egon Müller possède des vignes sur deux crus de la Moselle : Scharzhofberg (8 hectares) & Wiltinger Braune Kupp (4,5 hectares, encore plus pentus que le Scharzhof). L’ensemble du vignoble est constitué de vignes plutôt âgées et quelques parcelles restent non greffées. Lars nous raconte qu’une de ces parcelles a été arrachée il y a 4 ans car elle avait commencé à être infecté par le phylloxéra – la terre est pour le moment en jachère et devrait être replanté l’année prochaine – et ne pourra pas être replanté avec des plants non greffés. Cela est en effet interdit en Allemagne afin d’éviter la propagation du phylloxéra.

Le domaine n’est pas certifié en bio mais a des pratiques équivalentes. La certification n’est pas recherchée car ils veulent se laisser la liberté de traiter si cela est nécessaire afin de sauver la récolte. Du souffre et du cuivre sont utilisés pour traiter les vignes.

Du côté des vinification, les fermentations sont arrêtées avec ajout de SO2, ce qui est une façon de vinifier très classique en Allemagne, notamment afin de stabiliser le vin, pour que les fermentations ne repartent pas en bouteille (puisqu’il reste des sucres résiduels). Il en résulte également des taux d’alcool bas car tous les sucres ne sont pas transformés en alcool par les levures. Le contrôle des températures est constant. Les fermentations malolactiques ne se font pas car les PH sont trop bas (inférieur à 3,2) mais ne sont pas du tout recherchées car le domaine cherche à préserver une acidité élevée dans les vins. Les levures sont indigènes, des pieds de cuve peuvent éventuellement être réalisés selon les années et les cuvées afin de contrôler les fermentations. Les vins sont filtrés avant la mise en bouteille afin d’éliminer les levures.

Avant de livrer nos explications sur les différentes cuvées, quelques mots sur l’histoire du domaine. Le domaine avant d’être acheté était un monastère et les moines cultivaient la vigne, qui avait été apportée dans la région par les romains. On peut d’ailleurs voir des vestiges de cette époque dans la région, notamment avec les vignobles en terrasse qu’ils ont créés ou au cœur des vignes puisqu’ils pressaient directement dans les vignes. Le domaine a été acheté dans les années 1700 par la famille Koch et l’héritière se mariera au premier Müller et donnera naissance à Egon Müller 1er. Aujourd’hui le domaine est entre de bonnes mains puisque la génération suivante y travaille !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!. Avant de connaitre ce succès, le domaine est passé par une phase compliquée dans les années 80, à une époque où les vins de la Moselle n’avaient pas bonne presse, et encore moins lorsqu’ils avaient du sucre résiduel (les vins secs étaient plus recherchés). La mécanisation des vignes était également à la mode afin d’augmenter la rentabilité et la qualité globale diminua.

A cette époque, Egon Müller n’a pas cédé aux modes ou à la pression du marché et a continué à faire du vin de façon très traditionnelle, en conservant le style et l’identité du domaine. Il a toujours employé du personnel afin de conserver une approche exigeante à la vigne et au chai. Cet attachement à la tradition se reflète dans les étiquettes puisque celles-ci n’ont jamais changé depuis 100 ans.

Le domaine ne renonce toutefois pas à la modernité et quelques tests sont en cours afin d’élaborer un Grosses Gewächs (GG). Les Grosses Gewächs (GG) sont des vins secs produits à partir des meilleures parcelles (Grosses Lage) selon le classement établi par la Verband Deutscher Prädikatsweingüter (VDP). Les GG portent le nom de la parcelle, qui ne doit pas excéder un rendement de 50hl et qui dont les raisins doivent être vendangés à pleine maturité, à la main, et être vinifié dans un style sec. Cela n’est pas reconnu par la législation allemande mais uniquement par la VDP. Celle-ci réunit 200 des meilleurs producteurs allemands, elle fait leur promotion et donne des garanties de qualité au consommateur grâce à son système de classification des vignobles et les critères de qualité imposés pour la production des cuvées labellisées GG. Les conditions d’accès à ce groupe ne se font que sur invitation.Egon Müller est membre de cette association.

Dégustation du millésime 2021

Lars nous fait déguster le millésime 2021. A noter que ce millésime a été aussi très compliqué en Moselle. Bien que le domaine n’ait subi que peu de pertes (5 à 10%), la pression maladie a été très forte et le millésime est marqué par une grande acidité. Ce millésime a été vendangé plus tard que les quelques millésimes précédents, qui étaient précoces, et est donc plutôt un millésime comme en connaissait la région à la fin des années 70 ou dans les années 80. Lars nous indique toutefois que le changement climatique n’a pour le moment pas d’impact négatif sur les vignobles de Moselle et qu’il permet au contraire d’atteindre plus facilement de belles maturités. Les vignes ne souffrent pour le moment pas non plus de la sécheresse car le vignoble du domaine est constitué de vieilles vignes pour une grande majorité, le système racinaire est donc suffisamment développé pour aller en profondeur afin chercher l’eau et les nutriments nécessaires.

Scharzhof Qualitätswein 2021 : cette cuvée est la cuvée emblématique du domaine et qui donne une bonne entrée en matière du style Egon Müller. Elle est vinifiée en cuve inox à basse température. Le nez est assez expressif, avec des arômes de fruits à noyaux, et d’agrumes. La bouche livre une belle matière, qui s’explique par les 38 grammes par litre de sucres résiduels, mais avec une grande fraîcheur (l’acidité est très prononcée, à 10 grammes par litre – les taux de sucre et d’acidité sont équivalents pour tous les Kabinett du domaine), ce qui donne un très bel équilibre, avec toujours des arômes de fruits à noyau et de fruits blancs. 

Wiltinger Braune Kupp Kabinett 2021 : dans le Braune Kupp, les vignes vont de la Saar jusqu’à 600 mètres en haut de la colline et le sol est relativement chargé en fer (il possède une couleur rouge). Les vignes plongent plus profondément sur cette parcelle que sur le Scharzhofberg. Cette cuvée est vinifiée et élevée en cuve inox et vieux foudres. Le nez est exotique, avec des notes de mangue, des papaye et d’ananas, toujours présentes en bouche. Celle-ci est ronde, pêchue et tonique, avec une finale aux saveurs d’agrumes. C’est une cuvée gourmande et fraiche à la fois, marquée par une belle finesse.

Scharzhofberger Kabinett 2021 : sur cette parcelle le sol est plutôt argileux et pierreux et l’influence de la Moselle ne se fait pas beaucoup sentir. Le nez est floral, citronné et aux notes d’agrumes. La bouche est très longue et plus tendue que la cuvée précédente, le sucre résiduel apporte de la texture et les notes d’agrumes de la fraicheur.

Ces deux cuvées peuvent se garder jusqu’à vingt ans sans problème.

Scharzhofberger Kabinett Alte Reben 2021 : ce sont les plus vieilles vignes du Scharzhofberg, elles ont plus de 100 ans. C’est une cuvée qui est uniquement distribuée via la célèbre vente aux enchères de la VDP, qui se tient chaque année. Le nez dévoile des arômes de chèvrefeuille, d’agrumes et de pierre mouillée. La bouche est très vive et énergique mais également très longue, toujours avec des notes d’agrumes. C’est une cuvée encore jeune, qui durera encore dans le temps – jusqu’à 40 ans nous dit Lars.

A noter que sur ces trois Kabinett, bien que le sucre résiduel soit élevé, celui-ci ne se ressent que très peu dû à une acidité très élevée. Les vins sont parfaitement équilibrés de ce point de vue.

Nous notons rapidement que les vins ne sont pas du tout marqués par les arômes de pétrolé que l’on retrouve parfois dans le Riesling (ce qui est habituel dans les Rieslings de Moselle). Lars nous explique qu’ils effeuillent très peu afin de protéger les raisins du soleil. Le Riesling étant très sensible au soleil et trop d’exposition favorise l’apparition de TDN (1,1,6-Trimethyl-1,2-dihydronaphthalene) dans les vins, qui favorise l’apparition de ces arômes. Peu effeuiller permet également de favoriser la photosynthèse et donc d’augmenter la concentration en sucre dans les raisins.

Wiltinger Braune Kupp Spätlese 2021 : cette cuvée comprend 15 à 20% de raisins botrytisés, le sucre est d’environ 80 gramme par litre. C’est un vin très exotique et dévoile des notes de maracuja et de fruits de la passion, et quelques notes de zestes de citron et de pomme granny. La bouche est dense et toujours exotique avec une sucrosité très fine, parfaitement équilibrée par la fraicheur. 

Scharzhofberger Spätlese 2021 : ici la proportion de baies botrytisées et le taux de sucre sont les mêmes que la cuvée précédente. L’aromatique est en revanche très différente : ce sont plus les fruits à noyau et un côté pierre mouillée qui s’exprime. La structure acide de la bouche est contrebalancée par une belle rondeur, on goûte les fruits à noyau mûrs.

Wiltinger Braune Kupp Auslese 2021 : cette cuvée est élaborée à 100% à partir de baies botrytisées, elles peuvent être moyennement à intégralement touchées par la pourriture noble, les baies très « infectées » par celles-ci étant réservées pour les Trockenbeerenauslese (TBA) et Beerenauslese (BA). Plusieurs passages successifs sont effectués dans les vignes au moment des vendanges afin de trier directement. Il peut y avoir plusieurs passages par jour afin de récolter à parfaite maturité. 2021 est un millésime qui a permis de produire un TBA, durant les vendanges, les conditions étaient idéales au développement de la pourriture noble, le jour le temps était sec et ensoleillé et frais la nuit. Contrairement à 2020 où les équipes du domaine n’ont eu qu’1 seule semaine pour vendanger avant de connaitre la pluie, ce qui n’a pas permis d’avoir un botrytis sain. Il faut 1kg de raisins botrytisés afin de produire 100ml de TBA.

Nous franchissons une nouvelle étape dans la complexité des vins du domaine, avec de nombreux arômes de fruits exotiques. En bouche la texture est plus dense et dessinée par une belle structure acide et des saveurs exotiques, de fruits mûrs. Ce vin est complexe, riche et frais à la fois.

Scharzhofberger Auslese 2021 : sur cette cuvée les arômes de botrytis sont très évidents avec ce côté mielleux et des notes d’abricot qui ressortent très nettement. Il y a toujours cette signature très minérale, qui est vraiment un marqueur de ce terroir, une énergie et une fraîcheur impressionnante. Une grande complexité et pureté ce dégage de cette cuvée.

Sur ces deux Auslese, le sucre est à 120 grammes par litre mais on ne perçoit pas un tel niveau, l’acidité étant également plus élevée que sur les Spätlese.

Scharzhofberger Auslese Gold Capsule 2021 : cette cuvée se révèle très vite complexe et insaisissable dans la palette aromatique est large complexité avec d’innombrables nuances comme le coing, l’abricot et la mangue séchée, des notes de miel. La bouche est très longue et s’étire sur des arômes de fruits exotiques acidulés comme le fruit de la passion mais il y a également beaucoup de nuances de saveurs et toujours beaucoup de fraîcheur dans cette cuvée.

Après cette belle dégustation, nous descendons dans les caves du domaine tout en dégustant une dernière cuvée, sur un millésime plus ancien, un superbe Scharzhofberger Spätlese 2007. Nous trouvons dans les caves de vieux fûts de 500 litres, dont de nombreux fabriqués par des tonneliers allemands avec des essences de bois de la région.

Scharzhofberger Spätlese 2007 : le nez complexe montre des notes d’évolution de truffe, de bonbon au miel mais garde ces arômes primaires de fleurs blanches. La bouche est toujours marquée par la minéralité associée à une belle matière, on retrouve les arômes de truffe mais aussi des saveurs d’écorce d’orange. C’est très fin & complexe.

Nous avons également eu l’occasion de découvrir la cave à vieux millésimes, dont le plus ancien date de 1921, un vrai trésor…

La discussion s’achève sur une cuvée que nous n’avons pas encore évoquée, les Eiswein. Lars nous explique que peu de millésimes sont produits (le dernier étant 2016). C’est un vrai pari que de choisir de produire un Eiswein car les températures doivent descendre à -7°C, les raisins doivent être vendangés en matinée et pressés à -5°C (ils le sont souvent dehors) afin que l’eau présente dans les baies ne soit pas extraite.

Lars nous fait alors la surprise de nous faire déguster un Eiswein 1998 ! Celui-ci est ouvert depuis environ une semaine mais nous ne sentons pas la moindre note d’oxydation, la couleur est caramel, le nez sent l’écorce d’orange et l’orange confite, la confiture d’abricot. La bouche est toujours d’une fraîcheur impressionnante, soulignée par des saveurs de marmelade d’orange, la douceur du sucre est parfaitement équilibrée. Un grand vin…

Notre visite s’achève ainsi, et nous tenons à remercier Lars pour son accueil chaleureux, la dégustation des vins, qui sont marqués d’une grande finesse, complexité et par une énergie incomparable. Ce fut une visite riche et nous a permis d’en apprendre un peu plus sur les coulisses de la légende Egon Müller…

Commentaires

  • Pas encore de commentaires...
  • Ajouter un commentaire