Dessine-moi des moutons… dans les vignes du Var

La pratique ancestrale dans le Var du vitipastoralisme qui tendait à disparaître à la fin du XXe siècle tend à revenir sur le devant de la scène viticole. De plus en plus de viticulteurs font appel à des bergers pour qu’ils fassent pâturer leurs brebis dans les vignes. Le signe de la renaissance d’une économie parallèle et locale qui participe à l’amélioration de la biodiversité.

Lors des dernières décennies du XXe siècle, les moutons ont déserté les vignes varoises alors qu’ils avaient coutume d’y prendre leurs quartiers d’hiver. La faute à l’utilisation des produits phytosanitaires, des engrais chimiques et des herbicides. 170 000 brebis pâturaient dans le Var dans les années 50; elles n’étaient plus que 70 000 vingt ans plus tard dans un vignoble où il était de bon ton que plus une herbe ne dépasse. Au début du siècle, le viti-pastoralisme était devenu anecdotique sur le département. « Il restait un petit noyau de viticulteurs qui continuaient à travailler avec quelques éleveurs mais la relation s’était délitée avec le développement d’une viticulture intensive et le recours facile aux désherbants, reconnaît Garance Marcantoni, en charge du dossier à la Chambre d’Agriculture du Var. Le viti-pastoralisme fait pourtant partie de notre histoire et d’une économie locale informelle relevant surtout d’un accord oral entre éleveur et viticulteur ». Autres facteurs aggravants qui ont accéléré l’érosion de la pratique : la pression foncière et l’urbanisation. Les troupeaux ne descendent plus des Alpes et du Nord du Var faute de trouver un hébergement sur place entre les villas et les lotissements.

Des « tondeuses » bio et éco-responsables

Ces dernières années, la réduction des herbicides, le recours croissant aux engrais organiques, le développement de la viticulture bio et de l’enherbement et la fin de la course aux rendements ont battu le rappel des moutons. Au vu de la multitude de posts de brebis en vignes sur Instagram cet hiver, il semble que le viti-pastoralisme devienne une tendance. Le Cerpam (Centre d’Études et de Réalisation Pastorales Alpes-Méditerranée), en collaboration avec la Chambre d’Agriculture du Var, en avait déjà pris la mesure et s’est lancé en 2017 dans une étude sur les pratiques du viti-pastoralisme afin d’en estimer l’impact sur les sols, la qualité des raisins, les rendements, la vigueur des vignes, leur sensibilité aux maladies et leur résistance à la sécheresse. Une vingtaine de parcelles ont été étudiées à la loupe sur deux terroirs différents du Centre Var et de la Plaine des Maures sur le littoral. « Il est apparu que la meilleure combinaison était celle d’un enherbement naturel avec des pâturages successifs sur plusieurs années, commente Alice Bosch ingénieure pastoraliste au Cerpam. Le fait de racler l’herbe et le léger piétinement des brebis favorisent une flore de qualité, avec l’apparition de légumineuses riches en azote, et la biodiversité avec davantage d’insectes, d’oiseaux, de chauve-souris… » L’étude a démontré que le pâturage des vignes en hiver pouvait représenter plus de la moitié de l’alimentation du troupeau sur la période et même 20% de sa ration annuelle. La ressource est gratuite et éco-responsable pour l’éleveur dans le cadre d’une économie locale; le vigneron y gagne un amendement de ses vignes et même de ses oliveraies, fait l’économie d’une partie des intrants, (fertilisants, herbicides) et des passages de tracteurs.


(photo © Castell-Reynoard_Julien)

Un système gagnant-gagnant

Les demandes se sont donc accrues ces dernières années, nécessitant souvent une entente collective entre viticulteurs pour offrir aux brebis suffisamment de surfaces à brouter dans un périmètre restreint. « Un système gagnant-gagnant » estime Garance Marcantoni. A condition de définir quelques pré-requis pour l’organisation du travail de chacun et pour la mise à disposition non seulement des parcelles de vignes mais d’une mosaïque paysagère de bois, haies, oliveraies à proximité des parcelles. « C’est primordial pour le repli des bêtes en cas de pluie, explique Julien Castell du domaine Castell-Reynoard à Bandol. Car il est indispensable dans ce cas de sortir les moutons des vignes pour éviter le tassement des sols ». Il est conseillé de ne répandre aucun produit chimique dans les vignes avant le pâturage en particulier les herbicides et après la taille, de limiter les sarments au sol sous peine de les voir éparpillés. « La vigne est plus fertile avec cet apport de matières organiques, mais il faut s’assurer de sortir les brebis des vignes avant le débourrement car elles adorent les bourgeons, complète Fabien Brotons du Clos de l’Ours à Cotignac.

Les éleveurs travaillent en majorité via la pose de filets mobiles, certains fonctionnent encore par gardiennage des brebis. « Depuis que les moutons viennent dans nos vignes, nous avons vraiment vu le changement ; elles sont plus aérées, plus vivantes et plus faciles à travailler avec moins d’érosion et de lessivage des sols ». En parallèle des accords longtemps verbaux, apparaissent des conventions de pâturage fixant les règles pour les deux parties et facilitant les assurances en cas de dégâts.

Au dernier recensement en 2019, on comptabilisait dans le Var 4500 hectares pâturés à 85% en enherbement naturel dans plus d’une soixantaine de domaines mais le potentiel est estimé à 35 000 hectares de vignes et d’oliviers qui pourraient nourrir au moins 40 000 bêtes de novembre à mars. La demande des viticulteurs ne cessant de croître, la Chambre d’Agriculture du Var travaille à éditer d’ici la fin de l’année une plaquette méthodologique du viti-pastoralisme avec une charte de bonnes pratiques. La tendance semble également gagner tout le Sud, du Vaucluse au Languedoc-Roussillon.


(Photo ©Cerpam)

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