[Entretien] Nicolas Glumineau « On parle bien d’agriculture »

En 10 millésimes, le directeur général du Château Pichon Comtesse a remis ce Second Grand Cru Classé 1855 de Pauillac sur les rails, voire plus haut encore. Faiseur de vins tactiles et denses, frais autant que profonds, Nicolas Glumineau prône le bon sens paysan et la négation de la certitude.

Contre toute attente, les merlots du millésime 2022 sont superbes, les Cassandre de ce cépage se sont-ils trompés ?

C’est sûrement le propre de notre métier d’être surpris et de se laisser surprendre. On ne maîtrise pas tout, de loin s’en faut et l’agriculture est riche d’empirisme, mais tout commence par planter chaque cépage sur le terroir le mieux adapté pour le développement de la vigne et de la maturation de ses fruits. La question de la juste maturité du merlot et du caractère que nous souhaitons leur conférer est prégnante à Pichon Comtesse. Nos assemblages comptent 20 % de merlot, dont nous souhaitons conserver la fraîcheur aromatique fruitée et la chair veloutée qui viennent compléter la structure racée et étirée du cabernet-sauvignon. Ce sont des années d’ajustements pour obtenir des merlots exceptionnels de richesse et d’équilibre en 2022.

Vous évoquez le travail des sols, où en êtes-vous de votre pratique culturale ?

À la faveur d’un important programme de restructuration du vignoble débuté il y a plus de dix ans, nous avons repensé notre encépagement, mais aussi nos pratiques culturales. D’abord de l’ordre de l’expérimentation, nous avons aujourd’hui généralisé nos pratiques en agriculture biologique et initié notre conversion en 2021 : 2024 sera notre premier millésime certifié AB. De plus, nous mettons en œuvre nos pratiques en biodynamie sur deux tiers du vignoble. Au-delà des concepts, on parle bien d’agriculture et ce sont surtout des pratiques de bon sens qui consistent à placer la vigne dans les meilleures conditions d’équilibre dans son environnement, pour produire les meilleurs raisins, comme réduire considérablement le travail mécanique de nos sols, au profit de sols couverts. « Les grands vins sont faits à la vigne », dit-on, tout commence par un sol viticole vivant, véritable matrice nourricière, qui tempère les excès de température et d’hygrométrie. Dans le contexte de changement climatique que nous vivons, aidons la vigne à puiser dans nos sols viticoles les ressources qui la rendent si adaptable et qui font les grands vins.

Quel regard portez-vous sur l’agroforesterie ?

Cela fait près de dix ans que nous plantons des haies autour de nos parcelles et le long des cours d’eau. Aujourd’hui, ce sont plus de six kilomètres de bocage qui sillonnent notre vignoble. Il s’agit d’une approche agricole globale ; le terroir ne se résume pas à la nature d’un sol, mais est la résultante d’un microclimat, d’un macroclimat, de la biodiversité qui y règne et des pratiques culturales qui y sont menées. Préserver nos ressources naturelles sur plus de 100 hectares est de notre responsabilité. Sertir nos parcelles de haies et d’arbres est sûrement une façon traditionnelle, durable et complémentaire de nos pratiques (jachères, enherbements, composts, prophylaxie et soins apportés à la vigne), pour préserver nos ressources en eau, enrichir la biodiversité dans nos vignobles et assurer vie et fertilité de nos sols.

Il existe aussi un emballement pour les amphores, quelle est votre position à leur endroit ?

Je n’en ai aucune expérience, ni en termes de vinification, ni en termes d’élevage ; je sais seulement que nous n’en sommes pas à envisager d’élever nos vins dans des amphores enterrées, pour, comme autrefois, les protéger des hivers trop rudes et des étés trop chauds, alors que nous maîtrisons les températures. Aujourd’hui, nous vinifions en cuves inox et en cuves bois. Quant à l’élevage, nous utilisons très majoritairement la barrique en chêne français de différents volumes et nous expérimentons divers matériaux (verre, grès). Nous expérimentons sans cesse pour trouver cet équilibre entre traditions et modernité, mais avec la préoccupation permanente d’apporter une valeur ajoutée au vin et de manière pragmatique. L’ensemble de ces sujets fait notre quotidien tant à Pichon Comtesse qu’à Château de Pez.

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