Et si c’était une sommelière ?

Trois sommelières figurent parmi les 17 demi-finalistes du concours de Meilleur Sommelier du Monde, dont les épreuves se poursuivent aujourd’hui à Paris. Cette édition 2023 pourrait être marquée, dimanche, par la première consécration d’une femme dans cette compétition.

On pouvait compter une douzaine de sommelières parmi les 68 candidats figurant sur la photo de famille inaugurale, mardi soir, de ce dix-septième concours de Meilleur Sommelier du Monde. Depuis la première édition en 1969, du chemin a été parcouru sur la place et la représentation des femmes dans le monde de la sommellerie, mais le delta masculin-féminin saute toujours férocement aux yeux ; il est d’ailleurs à peu près du même ratio concernant la liste des demi-finalistes qui a été annoncée hier soir à l’Hôtel de Ville de Paris : sur les 17 candidats encore en lice, trois sont des femmes – Pascaline Lepeltier, Meilleure Sommelière de France ; Valeria Gamper, Meilleure Sommelière des Amériques (de nationalité argentine) ; et Nina Jensen, Meilleure Sommelière du Danemark. Trois femmes extrêmement talentueuses qui n’ont plus à prouver ni leur expérience, ni leur détermination : Pascaline Lepeltier, en plus d’avoir été sacrée Meilleure Sommelière de France et Meilleur Ouvrier de France en sommellerie en 2018, a brillamment décroché le statut de candidate française il y a un an contre ses concurrents et exerce son métier de sommelière à New York ; Valeria Gamper, après avoir décroché le titre de Meilleure Sommelière d’Argentine en 2019, a décroché celui de Meilleure Sommelière des Amériques en 2022 et exerce son métier de sommelière en Espagne (El Molino de Urdániz) ; quant à Nina Jensen, elle a fini à la deuxième place du concours mondial en 2019 à Anvers, deuxième du concours européen en 2021 à Chypre, et exerce son métier de sommelière dans un grand établissement de Copenhague. Autant dire qu’en termes de parcours professionnel, ces trois femmes n’ont rien à envier à des hommes. Reste à briser le « plafond de verre » de la compétition, tout d’abord en se hissant en finale dimanche, ce que deux candidates seulement ont réussi à faire jusqu’à présent : la Canadienne Véronique Rivest, deuxième en 2013, et le Française Julie Dupouy (sous la bannière de l’Irlande), troisième en 2016.

It’s a Man’s Man’s Man’s World, but…

Les lignes sont-elles en train de bouger dans un monde de la sommellerie encore majoritairement masculin, mais où l’on voit de plus en plus de femmes dans les écoles, dans les formations et s’illustrer dans les compétitions ? « Tout dépend d’où l’on regarde », souligne Valeria Gamper. « En Argentine, on voit beaucoup de femmes dans les compétitions de sommelier, et d’autres femmes ont déjà montré la voie de l’excellence, comme Paz Levinson qui est une inspiration pour nous toutes. J’ai très à cœur de continuer à montrer l’exemple, à être utile, à inspirer aux futures sommelières cette passion du vin qui a été pour moi un véritable coup de foudre lorsque je l’ai découvert, mais aussi à encourager le développement des formations en Argentine – car beaucoup doivent encore se faire à l’étranger lorsqu’on veut élever son niveau ». Un sentiment que partage sa compatriote Andrea Donadio, Meilleure Sommelière d’Argentine en titre, qui n’a malheureusement pas validé son billet pour les demi-finales : « J’ai eu la chance d’apprendre mon métier quasi-exclusivement avec des femmes, elles ont été mes professeurs, mes mentors. C’est comme cela en Argentine mais je sais que ce n’est pas forcément le cas dans d’autres pays, même ici en Europe – d’ailleurs on peut voir l’important décalage entre le nombre d’hommes et de femmes dans ce concours. Et même si la sommellerie en Argentine est assez féminisée, cela ne m’empêche pas en tant que jeune maman d’entendre des remarques comme ‘mais votre petite fille, où est-elle ?’ Eh bien elle va très bien, elle est à Buenos Aires avec son père (rires). Lorsqu’on est une femme et que l’on veut accomplir certains rêves, réaliser des ambitions, on se heurte encore à ce type de situations. J’espère que le fait qu’une femme puisse gagner la compétition permettra de faire évoluer cela. »

Marina Revkova, l’exemple ukrainien

Surmonter son statut de femme dans un monde très masculin et encore très patriarcal, c’est ce qu’a dû faire Marina Revkova, Meilleure Sommelière d’Ukraine, lorsqu’il y a sept ans seulement, elle a changé de carrière professionnelle pour se lancer dans une formation de sommelière : « le métier de sommelier est accessible aux femmes mais c’est aussi un métier très physique, et il faut être prête à l’accepter. Quelquefois il faut faire deux fois plus d’efforts pour faire le même boulot que les garçons. Mais même lorsqu’on y arrive, on est souvent confrontée à des clients – et des clientes – qui préfèrent avoir les conseils d’un homme au moment de choisir une bouteille de vin. Encore plus lorsqu’on est blonde aux yeux bleus… C’est à nous, en tant que sommelières, de leur montrer notre expertise et que l’on peut être aussi professionnelles qu’un homme ». La trajectoire de Marina a été fulgurante une fois qu’elle a découvert l’univers du vin : « ça a changé ma vie. Je viens d’un petit village d’Ukraine, très loin de la capitale, et j’avais toujours rêvé de voyager à l’étranger. Aujourd’hui je suis à Paris, avec de très grands sommeliers, on déguste de grands vins, on rencontre des vignerons, c’est incroyable d’être là ». Malgré la difficulté des épreuves et la déception de ne pas avoir passé le stade des quarts de finale, Marina Revkova savoure cette extraordinaire expérience, elle qui a dû quitter l’Ukraine pour fuir la guerre et vit actuellement en région bordelaise (elle suit depuis quelques mois un stage au château Latour, notamment grâce au soutien de la Fondation Gérard Basset), loin de sa famille qui a payé un lourd tribut aux affrontements : « c’est bien sûr une pression supplémentaire que de représenter mon pays dans une telle compétition. Je ne veux pas de traitement de faveur, je ne veux pas que les gens s’apitoient sur mon sort, mais je veux montrer que les Ukrainiens sont courageux, qu’ils se battent, qu’ils travaillent dur dans le pays qui les accueille. Mon cœur est là-bas, et je sais que j’y retournerai lorsque la guerre sera terminée, pour y exercer mon métier de sommelière ».

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