Incendies en Gironde : y a-t-il un risque de « goût de fumée » ?

Suite aux terribles incendies qui ont frappé le département de la Gironde depuis 12 jours, les regards se portent désormais vers la région de Landiras et le vignoble des Graves, qui a été épargné par les flammes mais durablement exposé aux fumées. Peut-il y avoir une incidence sur la qualité du millésime 2022 ?

Près de 21 000 hectares de forêts de pins ont été détruits par les flammes depuis que les incendies se sont déclarés en Gironde le 12 juillet, répartis sur deux foyers distincts, à La Teste-de-Buch (Bassin d’Arcachon) et à Landiras dans le sud du département. 1200 sapeurs-pompiers mobilisés pendant douze jours, 36 000 personnes déplacées, et des paysages ravagés, voici le premier bilan de cet épisode catastrophique qui, de l’avis des autorités, est aujourd’hui « fixé » en espérant que les effets du réchauffement climatique ne provoqueront pas de reprise dans les semaines à venir. Du côté de Landiras, les dommages sont considérables avec près de 14 000 hectares consumés par les flammes. Fort heureusement, le vignoble des Graves, qui est tout proche, a été épargné, comme nous l’indiquait tout récemment Dominique Guignard, président de l’appellation.

Reste une question : les 12 jours d’incendies, dont les odeurs se sont fait sentir jusqu’au centre de Bordeaux et même jusqu’à la rive droite à la faveur des vents tournants, peuvent-ils avoir un impact sur la qualité du millésime 2022 ? On se souvient de la façon dont les terribles incendies qui ont frappé la Californie et l’Oregon en 2020 et 2021 ont pu engendrer un « goût de fumée » dans les vins, qui par endroits n’ont pu être commercialisés. L’Australie a pu elle aussi être confrontée à ce phénomène rédhibitoire. Plus près de nous géographiquement, l’an dernier dans le Var, certains s’interrogeaient sur la possibilité de vinifier correctement après une trop longue exposition aux fumées des incendies.

Des études menées en Australie et en Californie

Axel Marchal, œnologue et professeur à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV), de l’Université de Bordeaux, nous apporte son regard technique sur le risque de « goût de fumée » dans la vendange 2022 dans les Graves : « n’ayant pas jusqu’ici été très exposés à ce problème, nous n’avons pas beaucoup de documentation scientifique à Bordeaux, mais en Australie, les travaux menés par l’œnologue Markus Herderich (qui était d’ailleurs venu en 2011 à Bordeaux faire une conférence sur le sujet) sont très complets, tout comme ceux d’Eric Hervé en Californie. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Que ce que l’on appelle le ‘goût de fumée’ est en fait un ensemble de molécules volatiles libérées par le feu, notamment des phénols, transportés par les vents qui vont pénétrer la pellicule des raisins, se fixer aux sucres. Cela peut donc libérer des arômes de fumée pendant la vinification, mais aussi à d’autres stades, pendant l’élevage ou même une fois en bouteille. »

Quel est donc le risque que ce phénomène se produise sur les raisins de l’année 2022 ? « Ce que l’on sait, c’est que le plus gros risque de perméabilité des raisins à ce goût de fumée se situe après la véraison, et que cela affecte plus fortement les raisins rouges que les raisins blancs« , poursuit Axel Marchal. « Considérant que nous n’en sommes pas encore à mi-véraison, on peut penser que la pellicule des raisins, a fortiori sur les rouges plus sensibles, a moins de perméabilité que si l’on était fin août. Par ailleurs, les vents ont été généralement favorables et les vignes ont été plutôt tardivement exposées aux fumées. On peut espérer que la faible durée et la distance d’exposition n’auront pas trop d’incidence, si l’on compare par exemple en Californie où les vignes étaient vraiment au cœur des flammes. »

Prudence jusqu’aux vendanges

Axel Marchal fait donc preuve d’optimisme, mais la prudence reste de mise : « on ne peut rien affirmer avec certitude à ce stade mais les signaux sont assez encourageants. Il est du reste possible que, sur le plan analytique, ces fumées aient un impact, mais cela ne se retrouvera pas forcément sur le plan organoleptique. Maintenant que les feux semblent fixés, il faut espérer que les incendies ne reprendront pas d’ici la fin de la véraison, auquel cas il y aurait davantage matière à s’inquiéter« .

Loïc Pasquet, propriétaire du domaine Liber Pater à Landiras (qui produit le « vin le plus cher du monde »), était en première ligne ces derniers jours et a même dû temporairement évacuer son exploitation par mesure de sécurité. Si ses vignes ont été épargnées par les flammes, y compris ses précieux francs de pied (voir photo), il demeure lui aussi prudent sur l’issue du millésime : « j’ai fait faire des analyses la semaine dernière, a priori tout va bien, même si les odeurs de fumée restent très fortes. C’est un risque qu’il faudra contrôler régulièrement, d’autant que nous n’avons aucune expérience à Bordeaux sur le sujet. Et n’oublions pas que la forêt peut encore brûler en août ! Il y a aussi l’effet possible de la sécheresse sur la récolte… Bref, nous ne sommes pas au bout de nos peines« .

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