Matthieu Dubernet : « Le goût de fumée n’est pas toxique »

Les incendies se multiplient dans les régions où la sécheresse leur crée un environnement trop favorable. Les dégâts directs sur la vigne peuvent rester limités (comme en Corbières ou dans le massif de la Clape) mais, surtout dans le cas de grands incendies avec des dégagements importants de fumées qui peuvent baigner longtemps les vignes, le vin peut en prendre le goût. Pour y voir clair, lisons Matthieu Dubernet, PDG des Laboratoires Dubernet.

Sécheresse donc incendies près des vignes, donc risque de goûts de fumée, le problème s’entend de la Californie à l’Australie, on en parle à présent en Languedoc : la problématique est mondiale ?
Matthieu Dubernet : Oui, c’est un problème environnemental global. D’abord quelques chiffres : chaque année, les feux de forêt détruisent 350 millions d’hectares sur la Terre, ce qui représente 6 fois la surface de la France. En France, c’est 30 000 hectares par an. En trente ans, on a doublé la surface brûlée par les feux de forêt. Selon le WWF, ces feux sont responsables de 20 % de dégagements de CO2 à l’échelle mondiale.
La vigne se trouve tôt ou tard à proximité de ces incendies et les goûts de fumée sont quelque chose dont on parle à l’OIV depuis deux ou trois ans alors que ce n’était en effet pas le cas auparavant.

Comment se forment les goûts de fumée ?
MD : On connaît bien les molécules responsables des odeurs de fumée. Elles n’ont pas de toxicité particulière, elles sont présentes en quantité infinitésimale, mais elles sont très aromatiques et donnent un goût de brûlé brutal et un caractère âcre aux tanins.
Ces molécules aromatiques sont très volatiles, et donc transportées très facilement dans l’atmosphère et jusque sur la pruine, qui est cette substance cireuse à la surface de la peau des baies de raisins. Par son un côté cireux, justement, elle absorbe extrêmement bien les molécules aromatiques de l’atmosphère. C’est d’ailleurs l’une des hypothèses pour expliquer une partie du goût du terroir, quand les vins ont le goût de leur environnement, comme le caractère de thym et de romarin que l’on trouve dans les vins issus de vignes en bordure de garrigue. Les molécules aromatiques du thym et du romarin viendraient se coller sur la pruine des raisins.
De la même façon, les molécules dégagées par la combustion des arbres et de la végétation se fixent sur la pruine et y restent extrêmement stables jusqu’à la vendange. Elles se mêlent aux jus pendant les macérations des peaux dans les jus. Ceci explique que l’on rencontre les goûts de fumée essentiellement dans les vins rouges, pour lesquels la macération pelliculaire est systématique. Pour les blancs et les rosés, surtout si les raisins font l’objet d’un pressurage rapide et très doux, on ne rencontre pas, ou peu, ce problème.
Par un procédé assez pernicieux, une fois dans les jus, les molécules volatiles aromatiques forment une liaison chimique avec les sucres, perdent leur caractère aromatique pendant un certain temps, jusqu’à la rupture de cette liaison. Cela peut prendre deux à trois mois après la fin de la vinification. Donc, un vin qui à la fin de l’automne ne présentait aucun problème apparent, peut présenter des remontées d’arômes de fumée très violentes au mois de mars.

Peut-on être sûr que des raisins exposés à la fumée d’un incendie seront porteurs de ces molécules ?
MD : Hélas non car l’imprégnation des pruines dépend de quantités de facteurs : Y avait-il du vent ? La fumée a-t-elle stagné sur les vignes ? Combien de temps ? À quel stade la vigne était-elle ? Pour les incendies des Corbières et plus encore pour ceux de la Clape au début du mois, on peut raisonnablement espérer que la vigne est à un stade assez précoce de son cycle végétatif pour que les molécules volatiles aromatiques absorbées par la pruine aient le temps de s’en désorber. Mais on n’aura de certitude qu’après les vendanges et quelques mois après.

Existe-t-il des traitements contre le goût de fumée une fois qu’il est dans les vins ?
MD : On en parle à l’OIV mais on est encore au stade de la recherche. D’importants travaux ont été faits à l’étranger, particulièrement au Chili, aux États-Unis et en Australie qui ont connu de très grands incendies depuis trois ans. Il s’agit de traitement par nano-filtration mais cela reste très difficile à retirer et souvent au détriment de la qualité du vin. D’importants progrès sont en cours sur le sujet, et des méthodes plus efficaces devraient rapidement pouvoir être proposées.
La seule solution en l’état actuel des choses est d’isoler les lots sur lesquels on a des suspicions de les vinifier séparément. C’est compliqué dans le cas de très gros incendies, quand on ne sait pas par où sont passées les fumées, combien de temps elles ont pu stagner sur les parcelles… Il existe un gros travail de collaboration avec le CNES de Toulouse sur la détection par satellite de la propagation des fumées pour identifier les secteurs les plus impactés.

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