Vieux millésimes : l’art délicat du reconditionnement

Quand et comment doit-on reconditionner les vieux millésimes ? Afin de préserver l’intégrité des vins face à l’usure des bouchons, il est important de procéder à cette délicate opération tous les 20 ou 25 ans. Illustration au Couvent des Jacobins, grand cru classé de Saint-Émilion.

Ouvrir un vieux millésime est toujours un moment émouvant, riche en symbolique, chargé d’incertitude et électrisé du petit frisson de découvrir les effets de la patine du temps sur un vin. Parfois, l’extase se trouve au fond de la bouteille, quelquefois c’est la déception, le contenu ayant flétri sous le poids des décennies. Boire un vieux vin est toujours un exercice sans garantie : au-delà de la qualité originelle du millésime qui a été embouteillé et son potentiel de garde, il y a la façon dont cette mise en bouteille a traversé les années ; ceci sera intimement lié aux conditions de stockage (exposition à la lumière, stabilité des températures, hygrométrie…) mais aussi au bouchon, qui même lorsqu’il est de très bonne qualité, est exposé à une usure naturelle au bout de 20 ou 25 ans.

Cette usure se traduit par une perte d’élasticité, pouvant engendrer des écoulements, et une perte d’efficacité mécanique dans les échanges d’oxygène, pouvant entraîner une altération du vin. Par ailleurs, si le liège contient des molécules possiblement nocives pour le liquide, comme le fameux TCA (trichloroanisole) et assimilés qui donnent le terrible « goût de bouchon », les risques de contamination vont aller crescendo avec le temps, le bouchon étant de plus en plus imbibé de vin.

Au Couvent des Jacobins, des trésors sous le calcaire

Pour toutes ces raisons, et pour permettre aux vins de continuer à vieillir dans des conditions optimales, il est important de les reconditionner tous les 20 ou 25 ans en moyenne. Il s’agit d’une opération délicate à laquelle se prêtent les propriétés qui ont la chance d’avoir des stocks de vieux millésimes. Le Couvent des Jacobins en fait partie. Ce grand cru classé de Saint-Émilion, propriété de la famille Jean depuis 120 ans, dispose d’une belle œnothèque remontant à 1943. En déambulant dans les galeries creusées dans le calcaire saint-émilionnais, on réalise à quel point ce patrimoine (5000 bouteilles environ pour le stock « familial » entre 1943 et 1999, 1300 bouteilles entre 2000 et 2006, près de 80 000 bouteilles sur les quinze derniers millésimes) mérite toutes les attentions pour assurer sa conservation.

Denis Pomarède, directeur d’exploitation du Couvent des Jacobins, est arrivé à la propriété en 1996. Le millésime 1995 est donc le premier qu’il a mis en bouteille et, la semaine dernière, il se prêtait à l’exercice du reconditionnement, une opération qui le mobilise avec ses collaborateurs pendant trois jours d’affilée, si l’on ajoute les millésimes 1993, 1994 et 1996. Pour le seul millésime 1995, ce sont près de 250 bouteilles qui doivent être débouchées, remises à niveau si le vin éventuellement, puis rebouchées. L’affaire doit se dérouler dans de bonnes conditions de température, de pression atmosphérique et d’humidité afin de ne pas traumatiser les vins, qui ont passé le dernier quart de siècle bien tranquilles dans leur bouteille. Une fois cette dernière ouverte, Denis administre deux gouttes de soufre (une solution à 3% de soufre pur, soit un équivalent de 5 mg de soufre total) afin d’empêcher que le vin s’oxyde à l’aération et pour le re-stabiliser dans la durée. Puis, on refait le niveau en « piochant » dans les autres bouteilles du même millésime pour en équilibrer le plus grand nombre : au bout de 25 ans, il n’est pas rare d’avoir perdu, par évaporation ou humectation du bouchon, jusqu’à 1 cl de vin, soit environ 0,5 cm. Au-delà de 2 cl, il y a de sérieux risques d’oxydation. Il faut dont remettre ce centilitre manquant, afin que le vin, lorsque la bouteille est debout, se situe à un demi-centimètre du bouchon.

Un échantillon pour une nouvelle analyse en laboratoire

Puis, on remet un nouveau bouchon en place : un bouchon en liège, de calibre 49×24 mm (18,5 une fois comprimé), « sniffé » technologiquement en amont pour détecter tout risque de goût de bouchon – il est replacé à l’aide d’une bouchonneuse de 1930 qui a déjà fait ses preuves depuis longtemps et continue de travailler efficacement, à condition que la personne qui est à la manœuvre n’ait pas peur du tennis elbow. Une fois le bouchon replacé, on laisse la bouteille à la verticale pendant 15 minutes pour lui laisser le temps de « s’expanser », et le tour est joué. Il n’en reste plus que 249 à faire, ce qui prendra un peu plus de trois heures. En moyenne, on reconditionne 600 bouteilles sur une journée de travail.

Au-delà de l’utilité manifeste de cette opération pour la longévité des vins reconditionnés, elle permet en outre de prélever un échantillon de 300 ml de vin du millésime concerné pour le faire analyser avec la grille de précision de l’œnologie actuelle : acidité, volatile, pH, alcool, phénols, anthocyanes, tout est passé au crible afin d’avoir un nouveau référentiel pour le futur, et mieux suivre ces vins dans la durée. Une photographie à l’instant T d’un jeune homme d’un peu plus de 25 ans, que l’on ne devrait pas, sauf ouverture de bouteille destinée à la consommation, re-déranger avant son demi-siècle.

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