La buvabilité est devenue depuis plusieurs années un critère prépondérant pour qu’un vin soit apprécié et vendable. Pourquoi cette buvabilité est devenue si importante ? Que faut-il comprendre par buvabilité ? Affaiblit-elle le potentiel de garde d’un vin ?
Dominique Guignard, le président de l’appellation Graves, en justifie l’importance : « la notion de buvabilité devient de plus en plus importante pour les consommateurs car ils n’ont plus de quoi stocker les vins. Ils ne peuvent donc les faire vieillir et souhaitent boire les vins plus rapidement ». Comme bon nombre de restaurateurs qui ne souhaitent pas immobiliser des stocks et donc du capital.
Mais « c’est un terme que je n’utilise pas » nous dit d’emblée Axel Marchal professeur d’œnologie à l’université de Bordeaux (ISVV) préférant critérier la manière de définir un vin. « C’est un mot valise qui est sur toutes les lèvres et la définition varie en fonction de la personne qui l’utilise » poursuit-il. Mais il consent à en donner une définition : « un vin qui donne envie de le boire, parce qu’il y a de la délicatesse, de la précision, une évidence aromatique et des tanins intégrés, avec une extraction qui ne l’écrase pas». Pour Frank Bijon, le président de l’Alliance des crus bourgeois du Médoc, c’est « la sensation de plaisir, l’harmonie, l’équilibre, la plénitude, une jolie rondeur », et pour lui aussi, « l’envie ». Il s’agit donc de permettre au vin d’être bu jeune tout en ayant un potentiel de garde, surtout à Bordeaux. Deux notions inconciliables ?
Frank Bijon nous éclaire : « Ce n’est pas parce que le vin présente une bonne buvabilité qu’il n’est pas en capacité de vieillir. La capacité à vieillir ne se limite pas à la notion de structure tannique, il faut prendre en compte la fraîcheur et l’acidité qui apporte de l’éclat. Avec le changement climatique, avoir de l’alcool doit être équilibré par l’acidité et cela contribue à la buvabilité. » Le potentiel de garde n’est donc pas lié à la concentration en tanins mais plutôt à leur qualité, ce qui suppose une maîtrise du processus de vinification. Jean Viaud, œnologue conseil du laboratoire Michel Rolland et associés à Pomerol, nous éclaire. « Autrefois on misait sur le fait que le vin allait avoir des tanins aimables en vieillissant. Aujourd’hui, on fait attention à ce que le vin ait des tanins suffisamment aimables dès leur jeunesse. Mais attention, on peut avoir un vin léger avec des tanins secs et désagréables, et un vin puissant avec des tanins suaves. La concentration en tanins n‘a donc rien à voir ». Un vin ayant une bonne buvabilité pourrait donc avoir des tanins à condition qu’ils soient de qualité et qu’on maîtrise la manière de les obtenir. Aujourd’hui, on sait concilier buvabilité et potentiel de garde grâce à la mise en œuvre de quelques techniques.
Antoine Médeville, du laboratoire Œnoconseil à Pauillac, les énumère : « la date de récolte est importante. Trop tôt, les tanins sont verts, et trop tard on a des vins lourds et indigestes. La gradation des maturités est désormais maîtrisée. On pratique la pré-fermentation à froid et les températures de fermentation sont plus basses aujourd’hui, autour de 23/24 ° au lieu de 30 °, ce qui permet d’avoir des tanins plus ronds et de préserver le fruit. Pour les fermentations, on peut utiliser des levures qui apportent plus de glycérol et de gras et donc une impression de sucrosité. On débourbe le moût de raisins ce qui permet d’avoir des vins plus droits et frais. On arrête assez tôt les remontages car ceux-ci apportent des tanins de pépins pas toujours bienvenus. Enfin, l’élevage en barrique de 500 l respecte plus le fruit ». C’est ainsi que la buvabilité est obtenue. Est-ce sans risque ?
Le marché (le consommateur) veut davantage de buvabilité : c’est lui qui donne le la. Julien Viaud se souvient et parle de cycle : « La Parkerisation a fait vendre énormément de vins à Bordeaux, mais aussi, lui a fait faire de grands progrès ». Parker a poussé pour que des progrès en œnologie s’accomplissent. La maturité était le maître mot : le marché la voulait. Aujourd’hui c’est la buvabilité. « Il y a un mouvement de balancier dont il faut se méfier » poursuit Julien Viaud « car à force de rechercher de la finesse on peut aller sur de la maigreur. C’est donc une question d’équilibre et de modération. On doit rechercher l’élégance et la buvabilité sans vendre son âme au diable ». Axel Marchal ne dit pas autre chose : « il convient que les vinifications soient discrètes et humbles pour ne pas vouloir marquer le vin de la patte du vinificateur mais plutôt pour révéler les spécificités du lieu ». N’oublions pas qu’un vin est d’abord l’expression d’un terroir.
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