Le verre et la bulle de Jul

À l’occasion de la sortie du film « Silex and The City », tiré de la série à succès dont le dixième tome sort également en librairie, l’auteur et dessinateur de bande-dessinée Jul (Julien Berjeaut de son vrai nom) se confie sur son amour du vin, sa passion de l’histoire et la façon dont notre rapport à la nourriture a influencé le destin de l’humanité.

Vous êtes du millésime 1974, né à Maisons-Alfort, de parents enseignants. Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

J’ai eu la chance de grandir dans un environnement où il n’y avait pas vraiment de hiérarchie entre les matières. Cela m’a donné beaucoup de liberté pour faire ce que je voulais, et donc pour dessiner. En même temps, comme j’étais bon élève, j’ai fait Normale Sup’, l’agrégation d’Histoire… Tout en étant enseignant, j’ai signé pendant douze ans beaucoup de dessins de presse. Un jour, il a fallu choisir entre les deux : ce qui a provoqué la bascule, c’est l’opportunité de faire de la bande-dessinée, en 2005-2006 avec « Il faut tuer José Bové » puis « La Croisade s’amuse ».

Dès lors, tout s’est enchaîné…

Oui, avec « Silex and the City » d’abord. Cette série commente notre monde contemporain en perspective avec la vie d’une famille préhistorique. Il y a eu ensuite « La Planète des sages » avec le philosophe Charles Pépin. Puis, j’ai pu transposer mes propres séries, « Silex and the City » et « 50 Nuances de Grecs » à la télévision pour Arte. Et la dernière étape en date, c’est l’adaptation de « Silex and the City » au cinéma. En parallèle de mes projets personnels, j’ai la chance de travailler sur des titres « patrimoniaux », en écrivant les scénarios de Lucky Luke, de Spirou, et à partir de l’an prochain de Picsou pour Disney.

En 2023 vous avez signé les illustrations de « La Faim de l’Histoire », en collaboration avec Aïtor Alfonso.

Ce livre est né de l’idée d’éclairer notre histoire par le prisme du verre et de l’assiette. C’est une balade à travers les siècles et les continents, des hommes des cavernes à la station spatiale internationale, des Vikings aux Ottomans, de la Commune de Paris à Woodstock. La cuisine, l’alimentation, cela nous parle de société, de culture, de religion, d’économie, et de politique bien sûr, dans les interdits, les taxes, aussi bien dans la façon dont Gandhi a utilisé la grève de la faim pour protester, que dans la façon dont la gastronomie peut servir d’outil de diplomatie.

Quelle éducation au goût avez-vous reçue ?

Je viens d’un milieu populaire où l’on a toujours aimé manger de tout. Une partie de ma famille vient du Sud-Ouest de la France, l’autre de Tunisie, cela m’a donné le goût des mélanges. Par ailleurs, comme j’ai vécu à Pékin pour mes études et y suis retourné dix-huit fois, je suis devenu un véritable ayatollah de la cuisine chinoise.

Et le vin dans tout ça ?

Dans ma famille, on buvait du vin mais il n’y avait pas d’expert. C’est pendant mes études que j’ai rencontré deux profs de géographie, passionnés de gastronomie et de vin, qui organisaient des voyages pour leurs étudiants et qui nous ont emmenés dans les vignobles, dans les caves, à la rencontre des vignerons. Puis je me suis forgé une bande de copains et de copines qui sont très gastronomes, avec lesquels je partage des virées gourmandes dans différentes régions. J’ai eu l’opportunité de dessiner des étiquettes pour des vignerons, chaque année je dessine l’affiche du festival de musique à Montravel… Je suis un consommateur de vin régulier, assez éclectique même si je confesse un amour particulier pour les vins de Bourgogne. Enfin, grâce à un ami antiquaire, j’ai l’opportunité de mettre la main sur de très vieilles bouteilles issues de reliquats de caves. J’achète à but quasi expérimental, et parfois on a des surprises phénoménales : l’an dernier, on a bu un vin de Madère de 1878 ! Se dire que ce vin est né à l’époque de Flaubert ou Rimbaud, et qu’il est toujours là… on buvait de l’Histoire et c’était très émouvant.

Avez-vous une cave abondamment fournie ?

J’essaie de garder mon vin mais ce n’est pas facile. À chaque fois qu’il y a un coup dur, on organise de grandes tablées et on vide la cave qui doit ensuite être renflouée. Cela a commencé avec les attentats du 13 novembre 2015 : on s’est réunis, à une vingtaine d’amis, pour se serrer les coudes autour d’un déjeuner. On est resté 12 heures à table.

Dressez-vous des parallèles entre l’univers du vin et celui de la bande-dessinée, sous l’angle d’un artisanat, d’une culture du geste ?

Le parallèle que je vois relève de la saisonnalité. Mon travail est saisonnier, comme celui d’un ouvrier agricole : de janvier à avril, je travaille à l’écriture ; d’avril à juillet, je dessine, je fais l’encrage ; en août, je fignole les détails, l’impression ; à l’automne, les livres sortent ; et en fin d’année, on fait de la promotion, on rencontre les journalistes… C’est un cycle qui se répète, un peu comme pour la vigne.

Pour votre prochaine B-D, vous allez faire une infidélité au vin ?

En effet, en novembre sort le nouveau tome de Lucky Luke, dessiné par Achdé et dont j’ai écrit le scénario. L’histoire raconte une grève des brasseries de Milwaukee tenues par la communauté allemande : les saloons sont privés de bière et le Far West déprime. On supplie donc Lucky Luke d’aller mettre un terme à cette grève. Ça s’appelle « Un cow-boy sous pression ».

« Silex and the City, Le Film », depuis le 11 septembre dans les salles.
« Silex and the City, Tome 10 » (éditions Dargaud), depuis le 13 septembre en librairie.


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