Les vendanges viennent de se terminer au domaine de Trévallon, désormais piloté par Ostiane Icard, la fille d’Éloi Dürrbach, disparu il y a près de trois ans. La jeune quadra, dorénavant seule aux commandes, a pris ses marques et fait évoluer peu à peu le vignoble familial des Alpilles sans lui faire perdre son âme.
« Cette année a été compliquée avec un mildiou tardif et même de la mortalité cet hiver après deux années de rude sécheresse, du jamais vu, déplore Ostiane Icard qui a repris les rênes du domaine de son père Éloi Dürrbach, disparu brutalement en novembre 2021. On a eu une petite récolte avec 10-15?% de volumes en moins sur les rouges, 15-20?% sur les blancs, mais avec de belles acidités, de la fraîcheur et peu d’alcool. Cela devrait apporter de l’équilibre avec des vins moins riches comme j’aime, comparables à 1994, 2004 et 2014. » Trévallon produit en moyenne 45 000 bouteilles par an de rouge, un grand vin de garde qui bénéficie d’un long vieillissement en foudres et sans filtration, juste un peu de soufre à la mise, et un blanc qui représente environ 15?% des volumes.
Ostiane travaille au domaine depuis 15 ans, d’abord à la paperasserie et au commercial avant de s’attaquer aux vignes en 2015. Après deux enfants, elle a refait un BTS viti-œno sur le tard. D’autres métiers dans le vin et l’huile d’olive lui ont donné le goût du travail multitâche. Mais c’est la taille qu’elle préfère. « Ébourgeonner, palisser, ça m’éclate, avoue la jeune femme. Pas forcément les vendanges pendant lesquelles je reste à la cave pour faciliter les échanges entre les équipes. Plus ça va, plus je suis dans les vignes. » Elle a appris la vinification aux côtés de son père, peu disert. « J’ai surtout appris en l’écoutant parler aux autres, en cave mais aussi aux vendangeurs, aux banques, aux clients. Il n’était pas du tout pédagogue mais il me disait de venir avec lui et j’observais. C’était sa façon de transmettre sans que j’en aie conscience. »
En 2021, Éloi avait déjà passé la main à Ostiane tout en flânant tous les jours entre chais et vignes. Il savait que sa succession était assurée. Antoine a travaillé un temps avec sa sœur pour finalement aller faire du conseil ailleurs. Pas facile d’être deux à décider sur un même vignoble. Ostiane est épaulée par une équipe fidèle, certains sont là depuis plusieurs décennies tels le maître de chai Aimeric Gaubert et le chef de culture Jean-Luc Aubert. « Ça aide toujours en cas de doutes d’être bien entourée, ça participe à maintenir la qualité. » Trévallon dispose d’une nouvelle cave de vinification souterraine depuis 2013. La jeune quadra sait qu’on l’attend au tournant mais elle semble sereine : « Il faut que les idées mûrissent?; je ne suis jamais contre les changements, mais il faut y aller doucement et s’inspirer d’autres expériences. »
Pas de révolution donc à Trévallon mais quelques évolutions avec moins de bois neufs et de bâtonnage sur les blancs, désormais élevés en demi-muids, une augmentation de la part des cabernets sauvignons au détriment des syrahs qui ont une fâcheuse propension à monter en degrés depuis l’accélération du réchauffement climatique. Une partie a été arrachée pour replanter davantage de cinsaults, environ 2 000 pieds qui pourraient apporter de la fraîcheur dans les vins. Les nouveaux plants viennent de chez Lilian Bérillon qui vient en voisin. Ostiane en profite pour rajeunir progressivement le vignoble par coplantation. « Ces terres calcaires des Alpilles retiennent l’eau et apportent de l’acidité aux vins mais ce n’est plus suffisant », estime Ostiane.
La fille n’a pas oublié les enseignements du père : il faut que les vignes souffrent et tant pis si les rendements s’amenuisent. « Je goûte de plus en plus les raisins pour évaluer les maturités et veiller aux équilibres. Pour ça, comme mon père, je fais des kilomètres dans les vignes, pour surveiller également les attaques d’esca. Depuis 5-6 ans, avec le dérèglement climatique, les millésimes sont très hétéroclites et on manque de repères avec des conditions si différentes chaque année. Cela implique d’être encore plus dans les vignes et de prendre des risques, la condition indispensable pour faire des grands vins. »
Ostiane connait par cœur le nom des 35 parcelles du vignoble de 14 hectares d’un seul tenant. 12 hectares sont dédiés au rouge à partir de syrahs, cabernets, et depuis peu, de cinsaults « qui ont donné cette année 2 hl très poivrés, intégrés dans l’assemblage pour le côté frais et juteux ». Deux hectares sont réservés au blanc, en marsanne, roussanne, chardonnay, clairette, grenache blanc et une poignée de muscat depuis 2022. Ici, on ne fait pas de rosés même si on est dans les Baux-de-Provence, mais pas dans l’appellation du même nom puisque Éloi avait dû y renoncer en jouant du cabernet sauvignon majeur qu’il considérait comme la colonne vertébrale de ses vins (à environ 50?% dans le grand vin de Trévallon alors que l’appellation le limite à 25?%).
Le vin est déclaré en IGP Alpilles qui illustre si bien ce paysage de calcaire près de Saint-Rémy-de Provence, entre garrigues et pinèdes, dans lequel Éloi a créé le vignoble en 1973 en plantant à la dynamite. Tout est travaillé sans produit chimique, les vignes en enherbement naturel sont traitées avec des tisanes, les vinifications faites en levures indigènes, et la mise en bouteille suit le calendrier lunaire. Aucun changement de ce côté-là. Cet hiver, Ostiane fera revenir le troupeau de 30 brebis de la bergère de La Colle de la Roya. Ils peuvent s’abriter dans les nombreux bois propices à la biodiversité. Depuis 2016, tout a été clôturé après que les sangliers ont siphonné 30?% des cabernets un été où il faisait soif.
Prolongez votre (re)découverte de Trévallon à travers le bel ouvrage, « Trévallon, une famille d’artistes, un vin rare », de Guy Jacquemont, disponible sur le site du domaine (80 €).
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