Plumes et fourchettes se sont croisées ce lundi midi au Drouant. Tandis que Kamel Daoud recevait le Goncourt pour son livre Houris (Editions Gallimard), nous avons rencontré Guillaume Sicsic, chef sommelier du restaurant parisien, pour percer le secret des accords mets-vins qui ont rythmé ce déjeuner exceptionnel. Un voyage gustatif au cœur des délibérations du jury.
Le président du prix Goncourt, Philippe Claudel, et les neuf autres jurés – Didier Decoin, Françoise Chandernagor, Camille Laurens, Paule Constant, Pierre Assouline, Christine Angot, Pascal Bruckner, Éric-Emmanuel Schmitt et Tahar Ben Jelloun – ont entamé un voyage gustatif à travers les époques, inspiré par l’effervescence des bistrots parisiens des années 1920 et la pleine époque du style Art déco du restaurant. « Nous débutons par une petite tarte lorraine revisitée, sublimée par une touche de caviar, un clin d’œil à l’exode russe et à l’essor du caviar à Paris. Accompagnée d’un magnum de champagne Rare 2008, cette entrée allie tradition et sophistication », explique le chef sommelier. Kamel Daoud se verra d’ailleurs remettre un magnum de ce même champagne Rare 2008.
Le « Menu Goncourt » s’est poursuivi avec un plateau de fruits de mer, un clin d’œil aux brasseries parisiennes et à l’essor des produits de la mer en provenance de toute la France, favorisé par le développement des chemins de fer et des techniques de conservation. « Nous l’accompagnons d’un Riesling Grand Cru Hengst 2017, une alliance de fraîcheur, de tension, de minéralité et d’une légère touche fumée. Ce choix rend hommage à l’exode des Alsaciens et des Lorrains vers Paris à la fin du XIXe siècle, suite à l’annexion de leurs régions par la Prusse. Ce sont eux qui ont largement contribué au développement des brasseries parisiennes. Charles Drouant fut également l’un des premiers restaurateurs à faire venir des huîtres de Bretagne, grâce à son beau-frère, l’ostréiculteur Yvon Madec, avec qui notre maison entretient toujours des relations privilégiées. »
En plat, la sole, poisson emblématique des brasseries, est sublimée par un Meursault « Bois de Blagny » 2018 en magnum du domaine Saint-Marc. Un accord audacieux qui contraste la délicatesse du poisson avec la richesse et la complexité du vin.
Les 10 jurés poursuivent leur dégustation avec un plat inspiré de l’amour de la chasse de la Marquise de Sévigné : une tourte aux perdreaux. Celle-ci est accompagnée d’un château Canon 2014, 1?? grand cru classé de Saint-Émilion, servi en magnum. « Pour accompagner le côté pâtissier de la tourte, nous avons choisi un vin puissant, avec de la matière, des arômes complexes évoquant la forêt, le champignon, et une finale élégante aux notes résineuses. Côté fromages, nous proposons un Brie de Meaux, fondant à souhait, et un Brie noir, plus puissant et affiné pendant plusieurs mois. »
Ces fromages étaient accompagnés d’un Saint-Joseph « Les Granits » 2020 de M. Chapoutier. Cette alliance offre une belle combinaison de puissance et de finesse, caractéristique des vins de la Vallée du Rhône. « Au Drouant, nous sommes de grands amateurs de vins de la vallée du Rhône. Notre cave compte plus de 2000 références, dont plus de la moitié proviennent de cette région. Nous proposons d’ailleurs une carte des vins spécifiquement dédiée à la Vallée du Rhône, en plus de notre carte générale pour les autres régions de France. »
Pour terminer, le jury du plus prestigieux des prix littéraires savoure une liqueur de whisky-châtaigne de Belle Gnôle, une ode aux grands classiques des desserts parisiens (opéra, Saint-Honoré, Paris-Brest). « Nous avons souhaité apporter une touche de douceur à la fin de ce repas. Ce whisky, très peu tourbé, est infusé aux châtaignes d’Ardèche. On a presque l’impression de déguster un dessert liquide. » Une douceur onctueuse qui conclut en beauté ce voyage gustatif.
Créée en 1892 par Edmond de Goncourt, l’Académie Goncourt nait officiellement en 1902. Dès 1903, elle décerne son premier prix, récompensant ainsi les plus belles plumes de la littérature française. Au fil des décennies, ce prix prestigieux a couronné des écrivains majeurs tels que Marcel Proust, André Malraux, Romain Gary ou encore Simone de Beauvoir, contribuant ainsi à façonner le paysage littéraire français. Depuis 1914, les membres de l’Académie se réunissent chaque premier mardi du mois au restaurant Drouant pour discuter, délibérer autour des auteurs potentiels, instaurant ainsi une tradition qui lie indissolublement le prix Goncourt à ce lieu emblématique parisien. En plus d’Houris de Kamel Daoud, nous retrouvions parmi les prétendants au prix Goncourt 2024 : Jacaranda de Gaël Faye, Madeleine avant l’aube de Sandrine Collette et Archipels d’Hélène Gaudy, quatre œuvres témoignant de la richesse et de la diversité de la création littéraire contemporaine.
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