Ingénieur-agronome de formation et doctorant en sciences forestières, Sébastien Cavaignac est le directeur d’Invenio, station d’expérimentation de la filière fruits et légumes en Nouvelle-Aquitaine qui propose aux exploitants des solutions techniques pour la protection des cultures, le développement de la biodiversité, mais aussi des outils d’aide à la décision (OAD). Il copréside également le comité scientifique et technique de Vinitech-Sifel, travaillant notamment sur les problématiques transversales entre les filières agricoles.
Il est vrai que cela demande un effort d’adaptation technique. Il faut comprendre une nouvelle culture, les paramètres techniques à prendre en compte, les périodes pendant lesquelles il faut gérer les différents traitements… Tout cela demande un effort d’adaptation conséquent, oui, mais ce n’est pas forcément se mettre en danger. Se mettre en danger serait plutôt de rester sur son rail et de ne pas prendre en compte ces évolutions.
Dans l’agriculture, il y a des phénomènes de cycles, avec les contextes techniques et économiques. Ces cycles font qu’une culture va prendre l’ascendant sur une autre, et dans ce cas-là, on va avoir tendance à se spécialiser et à orienter le maximum d’investissement, de recherche et de travaux vers la culture qui rapporte le plus et inversement, quand c’est plus difficile sur cette culture, on se dit « je suis allé trop loin dans la spécialisation » et on revient sur de la polyculture. Bien qu’elle soit ancienne, je ne vois pas la polyculture comme un retour en arrière. Au contraire, j’y vois plutôt une forme d’adaptation et d’ajustement.
Le lien avec la viticulture s’est resserré fortement depuis maintenant deux à trois ans. Quand nous faisons des portes ouvertes, nous avons de plus en plus de viticulteurs qui viennent nous voir et qui se posent des questions quant au fait de franchir ou non le pas de la polyculture. Il y a dix ans, ce n’était vraiment pas le cas.
Quand on échange, il y a deux sujets qui reviennent. D’abord économique, par rapport à la valorisation de leur produit. Ils se disent qu’il y a peut-être des cultures qui peuvent être plus intéressantes économiquement, et qui permettent de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. L’autre sujet est celui de la main d’œuvre. Dans la viticulture, on peut être dépendant de la main d’œuvre sur certaines opérations. Et comme il est de plus en plus difficile de trouver des gens pour venir travailler, se diversifier vers une autre culture où la mécanisation peut être plus forte, cela peut être intéressant.
Pour rester sur cette question de la main d’œuvre, la diversification peut aussi être un moyen de la fidéliser. On peut regarder les périodes de l’année où la main d’œuvre est occupée par la culture principale et regarder les cultures qui sont complémentaires. Cela permet de donner du travail toute l’année à cette main d’œuvre et par conséquent, cela permet de passer moins de temps à recruter et à former. Sur le volet économique, le côté positif, c’est qu’une culture peut « rattraper » et compenser l’autre quand une année est plus compliquée pour celle-ci. Enfin, sur les questions autour de la recherche de solutions techniques, la polyculture peut être bénéfique, parce que même si ce ne sont pas les mêmes maladies qui touchent toutes les cultures, le fait de trouver une façon de gérer, d’adapter sa stratégie de traitement et de surveillance d’une maladie sur une culture peut être bénéfique à l’autre. La polyculture offre donc des avantages, mais pas que, car cela demande d’être vigilant sur plusieurs types de cultures et de prendre les bonnes décisions, de suffisamment connaître les cultures pour choisir le bon matériel végétal, les bons outils agricoles, les bonnes stratégies de traitement… La diversification des cultures demande aussi une diversification des compétences et cela engendre un investissement technique et intellectuel important.
On parle ici de cultures mixtes sur une même parcelle, et aujourd’hui, j’aurais tendance à laisser cela au stade de la recherche, car c’est très complexe. Il faut que les apports mutuels soient supérieurs aux contraintes. C’est une « compétition » entre plusieurs espèces qu’il faut arriver à gérer pour permettre à chacune d’avoir la lumière, les éléments minéraux et l’eau dont elles ont besoin. Chaque espèce doit bénéficier de façon positive de l’interaction avec l’autre. Par exemple vis-à-vis de la chaleur, avec un arbre qui va apporter de l’ombre à une autre culture, ou bien en apportant une biodiversité permettant d’attirer les insectes qui vont jouer le rôle d’auxiliaire face aux ravageurs de l’autre espèce.
C’est un facteur clé de la réussite d’une culture. On peut imaginer des systèmes productifs sans irrigation pour la vigne, mais globalement, la réussite d’un grand nombre de cultures (fruitières et légumières) passe par un accès à l’eau et une maîtrise de cette gestion de l’eau. Il faut bien être conscient que ce n’est pas une ressource illimitée, d’autant plus qu’avec le changement climatique, la répartition de la pluie sur l’année va être perturbée. Cela amène des réflexions. Il ne faut pas partir tête baissée sur des systèmes sans irrigation, mais plutôt se demander comment mieux gérer cette ressource, comment mieux la partager et optimiser son utilisation pour les productions qui en ont le plus besoin.
Je pense que face à cette problématique du changement climatique, nous avons la « chance » de ne pas être dans une situation géographique extrême, avec des climats qui vont se rapprocher de ce qui existe déjà en Espagne ou en Italie. Nous savons donc que ces climats sont compatibles avec la production de fruits et légumes et la culture de la vigne. La principale difficulté avec le changement climatique, c’est qu’il y a des risques d’avoir de nouvelles maladies qui nous positionnent dans des impasses techniques, parce que l’on n’a pas les solutions à l’heure actuelle. Mais nous avons du matériel végétal avec un énorme potentiel d’adaptation, donc il ne faut vraiment pas baisser les bras et continuer à miser sur la recherche et l’innovation. La viticulture a pris le bon chemin avec plusieurs démarches et de nombreux travaux de recherche, sur le porte-greffe notamment, mais aussi dans la recherche de nouveaux cépages plus résistants aux maladies et aux conditions climatiques extrêmes.
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