Aujourd’hui, tous les grands amateurs de champagne sont à la recherche de « bruts natures », c’est-à-dire des champagnes non dosés, sans sucre ajouté. Pour parvenir à équilibrer un vin sans cet ajustement final, il faut cependant un vrai savoir-faire dans lequel la Maison Laurent-Perrier a toujours excellé, et dont elle a montré la voie dès le XIXe siècle. Retrouvez-la aujourd’hui à Bordeaux Tasting.
À la fin du XIXe siècle, au Royaume-Uni, apparaît une nouvelle demande sous l’impulsion des wine merchants : celle de champagnes plus faiblement dosés, voire non dosés. Plusieurs maisons vont se lancer sur ce segment, mais en donnant à ces champagnes une place relativement anecdotique dans leur gamme. Laurent-Perrier se distingue cependant à l’époque en décidant au contraire d’en faire sa cuvée fer de lance, lui permettant d’accéder aux plus belles tables de l’époque, comme le Savoy. L’examen d’un menu de la tour Eiffel en 1900 montre même qu’il s’agit alors de la cuvée la plus chère de sa gamme.
L’un des grands axes de sa promotion repose sur ses vertus thérapeutiques. « À ceux qui ont la goutte, ou qui ont des rhumatismes, et à qui les autres champagnes sont interdits, Laurent-Perrier sans sucre est recommandé. Un vin absolument naturel parce qu’il n’a ni sucre, ni alcool, ni liqueur ajoutés. » Et, comme à l’époque, beaucoup de publicités sont mensongères, l’absence de sucre et d’alcool ajoutés au dosage est même validée par l’analyse du professeur Fresenius de Wiesbaden (une sommité, dont le laboratoire œnologique formera plus tard de nombreux chefs de caves champenois, y compris Victor Lanson).
L’une des publicités laisse entendre que ce grand vin sans sucre ne reçoit même pas de sucre au moment du tirage, la seconde fermentation se nourrissant uniquement des sucres résiduels laissés par une première fermentation inachevée, à la manière des « pet nats » actuels. D’où une effervescence, mais aussi une acidité (celle de l’acide carbonique) un peu moindres, ce qui facilite encore la suppression du sucre au dosage, tout en rendant cette cuvée plus digeste que les champagnes habituels. La maison peut ainsi se féliciter dans le « Daily News » en 1897 de commercialiser un champagne où « l’acide carbonique et l’alcool n’existent que dans la proportion que la nature a déterminée ». Lancer cette nouvelle cuvée dans un pays où règne, selon les termes de Hertz, l’agence de la maison, la « brandolatry », c’est-à-dire l’idolâtrie des grandes marques, est un véritable challenge. Mais la maison fait preuve de beaucoup de créativité dans son marketing : les clients sont invités à renvoyer un maximum de bouchons de la cuvée en échange de quoi ils pourront gagner des bijoux, des ciseaux en or…
Il existe aussi une variante originale de cette cuvée sans sucre baptisée Coca-Tonic-Champagne, dans laquelle la maison ajoute des extraits purs de feuille de coca. Ce champagne est destiné notamment à soigner la neurasthénie, les crises de nerfs, les états grippaux, l’insomnie… Une recette qui n’est pas sans rappeler celle du fameux vin Mariani créé par un pharmacien bordelais en 1863. La mode des champagnes non dosés disparaît au début du XXe siècle. On doit sa réémergence, une fois de plus, à Laurent-Perrier. Quand la famille Nonancourt hérite de la maison dans les années 1930, elle ne commercialise que 80 000 bouteilles. Bernard de Nonancourt a la même conviction qu’autrefois les jeunes maisons du XIXe siècle, la seule solution pour s’asseoir à la table des grands est d’innover sans cesse, quitte à prendre des risques. D’où la création de Grand Siècle, la première cuvée spéciale fondée sur un multimillésime, ou du premier rosé 100 % pinot noir de macération. Lorsque survient l’année caniculaire 1976, Bernard de Nonancourt y voit une nouvelle opportunité. Son chef de caves Alain Terrier a goûté les vins clairs, et constaté qu’en se contentant d’un vieillissement prolongé, ils pouvaient naturellement s’équilibrer. L’Ultra Brut est lancé en 1981. La catégorie « brut nature » n’existe pas encore au sein de l’appellation, et c’est à la demande de Laurent-Perrier qu’elle est créée. La maison a depuis étoffé sa gamme de champagnes non dosés avec Le Blanc de Blancs brut nature.
Mais pour décrire ces deux cuvées, c’est encore Michel Fauconnet, le successeur d’Alain Terrier qui en parle le mieux : « Un champagne zéro dosage n’est pas un brut sans année auquel on n’ajouterait pas de dosage, mais un champagne pour lequel je sélectionne rigoureusement les crus et les cépages pour permettre au vin d’atteindre l’équilibre sans adjonction d’aucune liqueur. Ultra Brut et Blanc de Blancs brut nature procèdent ainsi d’un même principe. Seules les années solaires où des raisins arrivent à parfaite maturité peuvent entrer dans l’assemblage. Le choix des crus suit la même logique, nous privilégions ceux qui sont les mieux exposés, pour ne pas avoir des niveaux d’acidité trop élevés. Le troisième paramètre est celui du vieillissement, qui, en apportant un peu de richesse et de patine, balance naturellement l’acidité. Nous ajoutons ainsi un ou deux vins de réserve d’une année complémentaire, et, une fois le tirage effectué, l’élevage sur lie de cinq à six ans est un peu plus prolongé si on le compare par exemple avec celui de notre brut sans année La Cuvée. L’Ultra Brut, composé de 55 % de chardonnay et 45 % de pinot noir, offre un profil aérien. Il s’accorde parfaitement avec les fruits de mer, les sushis, un parmesan jeune ou un jambon pata negra. Le Blanc de Blancs Brut Nature associe quant à lui les chardonnays de grands crus de la Côte des Blancs à des grands crus et premiers crus de la Montagne. Il se caractérise par une très grande pureté, une effervescence fine, un nez minéral avec de délicieuses notes citronnées. Pour les accords, on partira sur un bar de ligne en croûte de sel, des noix de Saint-Jacques ou des encornets marinés à la plancha. »
Cet article Laurent-Perrier : du Grand Vin « Sans-Sucre » à l’Ultra Brut et au Blanc de Blancs Brut Nature est apparu en premier sur Terre de Vins.