Alors que la France s’engage dans une période de canicule, il fait bon de poser à l’ombre pour étudier les solutions qui s’offrent à la viticulture pour perdurer. Escale au Domaine Carrière-Pradal dans l’Hérault, où la vigne côtoies des haies d’essences variées et profite d’un écosystème renouvelé…
Sous le soleil éclatant du Biterrois, les vignes déroulent leurs rangs à perte de vue… À Servian, entre Béziers et Pézenas, quelque chose tranche dans ce paysage où la monoculture règne encore en maître : une haie vive, des figuiers, du romarin qui embaume. Bienvenue au domaine Carrière-Pradal, où les arbres reprennent racine au cœur même du vignoble le plus grand du monde.
Ici, on cultive la vigne depuis sept générations. Le domaine s’étend sur 50 hectares d’un seul tenant, au lieu-dit La Massole, et produit environ 80 000 bouteilles par an – un chiffre en constante progression. La famille Carrière-Pradal a traversé l’histoire viticole du Languedoc, du vin de masse livré en coopérative aux cuvées revendiquées en AOP Languedoc. Une trajectoire fidèle à l’évolution du territoire, mais aujourd’hui marquée par une volonté de bifurcation : sortir de la monoculture, repenser l’écosystème et faire cohabiter vignes, arbres, insectes et oiseaux.
Le projet a pris corps sous l’impulsion de Catherine Carrière-Pradal, figure pionnière de la conversion bio dans le secteur de Béziers dès les années 2000. Après un passage en coopérative, elle relance la vinification au chai familial en 2021, rénové pour l’occasion. Son fils, Baptiste, et sa belle-fille Claire Carrière, assurent désormais la continuité de l’exploitation.
Le virage agroforestier ne relève pas d’un simple verdissement. Il s’agit d’un engagement profond, enraciné dans l’observation du vivant. L’idée germe dans le potager personnel de Catherine, cultivé en permaculture, où les lianes escaladent les arbres fruitiers et où la biodiversité explose. Cette expérience intime devient alors un projet global pour le domaine : ramener de la vie dans les vignes.
Depuis plus de dix ans, le domaine plante des haies, d’abord en bordure, puis directement dans les parcelles. Aujourd’hui, tous les quinze rangs de vigne, une rangée d’arbres structure l’espace. Ce sont des espèces méditerranéennes : oliviers, figuiers, pommiers, abricotiers, mais aussi des arbustes comme le ciste ou l’églantier, et des plantes aromatiques – verveine, lavande, romarin. L’objectif ? Recréer un habitat, un refuge, un maillage vivant.
Avec plus de 7 km de haies plantées sur une vingtaine d’hectares, le domaine fait figure d’exception dans une région encore largement tournée vers l’hyperspécialisation. « C’est la suite logique du bio », explique Claire Carrière. « On ne voulait pas s’arrêter à une certification, mais aller plus loin dans la résilience de notre vignoble. »
Au-delà de l’esthétique, le projet répond à des enjeux très concrets. Les haies agissent comme brise-vent et limitent l’effet des gelées printanières, avec un gain de température pouvant aller jusqu’à un degré. Elles créent de l’ombre pendant les épisodes caniculaires, réduisent le stress hydrique des ceps et favorisent la faune auxiliaire. Les oiseaux insectivores, par exemple, régulent certains ravageurs, ce qui permet au domaine de réduire l’usage d’intrants. Les sols, moins compactés, respirent mieux, et un microclimat se redessine.
En parallèle, la biodiversité reprend ses droits. En 2024, le domaine a reçu une médaille d’or au Challenge Millésime Bio “La biodiversité, c’est mon domaine” pour son engagement environnemental puis une autre en 2025 sur le thème de l’arbre. Il est également suivi par le Conservatoire des espaces naturels dans le cadre du programme LIFE Biodiv’ Paysanne, qui a permis d’identifier plusieurs espèces vulnérables sur le site.
À Servian, le domaine Carrière-Pradal détonne, mais ne se pose pas en donneur de leçons. Il trace une voie possible dans un paysage viticole où l’AOP reste rare, et où la logique de rendement a longtemps prévalu. En remettant les arbres au cœur du vignoble, la famille Carrière-Pradal ne cherche pas à faire école, mais simplement à recréer du lien avec le vivant.
Et si les défis ne manquent pas – gestion de l’eau, adaptation des pratiques, cohabitation avec la faune sauvage –, la dynamique est enclenchée. En 2024, alors que la sécheresse chronique n’épargne pas le Languedoc, la majorité des vignes du domaine est irriguée en goutte-à-goutte, les haies sont taillées deux fois l’an, et l’expérimentation continue, notamment avec l’usage de la chabasite pour limiter le cuivre.
Cuvée Troglodyte 2019 – AOP Languedoc (16€)
Syrah et grenache pour ce vin rouge solaire et épicé, avec un peu de bouteille ! Un vin pour manger, un rouge pour la viande, une cuvée pour la garde. On sort l’artillerie lourde avec le l’agneau confit. Un super vin… !
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