Château Bouscaut, le renouveau permanent

En 1992, le château Bouscaut fait partie des 12 propriétés que Lucien Lurton transmet à ses onze enfants. Sophie Lurton en héritera et le modernisera, avec son mari, Laurent Cogombles. Aujourd’hui, face aux effets du changement climatique et à la crise que connaît le monde viticole, Bouscaut se réinvente pour mieux affronter l’avenir, avec les deux fils qui ont rejoint l’aventure familiale. 

Le château Bouscaut fait partie, depuis 1953, des crus classés de Graves. Il l’est en rouge et en blanc. Triste sort, le château connaît deux incendies dans les années 60. En septembre 1961, une grillade en l’honneur de Gilbert Bécaud met le feu à la tour. Un an plus tard, un incendie accidentel détruit entièrement le château, mais épargne fort heureusement les bâtiments d’exploitation. Laurent Cogombles raconte : « Pas de chance ! À ce moment-là, le bassin situé juste devant le château était vide. Les pompiers ont déroulé les tuyaux jusqu’en bas de la croupe de graves car il y a un petit ruisseau dans le fond, mais il leur manquait 20 ou 30 mètres de tuyaux pour aller jusqu’au château. Ils ont donc mis du temps à intervenir. » Le château sera reconstruit à l’identique en 1966.

Une reconstruction exemplaire

À cette époque, la propriété est en mauvais état, comme beaucoup dans le Bordelais. La consommation nationale est tournée vers le vin de table, l’export est en berne et les cours sont très bas (même pour un grand cru classé). Il fallait y croire pour acheter un château dans ce contexte morose. Comme les Cruse, les Merlaut, les Ginestet, ou son frère André Lurton (qui fut le principal artisan de la fondation de l’appellation Pessac-Léognan), Lucien achète des propriétés. Il sera propriétaire d’une douzaine, et pas des moindres : Durfort-Vivens, Desmirail, Ferrière, en appellation Margaux, Climens à Sauternes, tous crus classés. Bouscaut sera acheté en 1979, parmi les derniers. Il achète avec une vision patrimoniale et viticole, non spéculative, pour préserver les terroirs et les faire revivre. Ne disait-il pas souvent : « On ne possède pas un cru classé, on le transmet. »

Et en effet, Sophie Lurton, 7? des 11 enfants, hérite du château Bouscaut en 1992, du vivant de Lucien Lurton qui ne mourra qu’en 2023, à l’âge de 97 ans. Entre temps, Emile Peynaud, professeur d’œnologie à Bordeaux, aura fait faire des progrès aux méthodes de vinification et Robert Parker aura fait connaître à la planète les vins de Bordeaux et stimulé un sursaut qualitatif. Une marche en avant à laquelle n’échappe pas Bouscaut.

Sophie Lurton, Timothée, Laurent et Armand Cogombles. ©DR

De nombreux investissements

En 1990, est construit un cuvier circulaire. En 2002 sont installées 10 cuves béton de 100 hl afin d’améliorer la sélection parcellaire. Et en 2010, c’est la restructuration des installations et la construction d’un nouveau chai à barriques de 300 m² pour loger les vins rouges : les murs extérieurs du chai sont alors ornés d’un bardage original et très esthétique réalisé en douelles de barrique. Quelques jarres en terre cuite sont venues depuis compléter le dispositif d’élevage. 

Un avenir qui se dessine

Timothée Cogombles, l’un des deux fils de Laurent et Sophie, a rejoint la propriété en 2020. Son rôle porte sur le versant technique. « J’ai une vision qui s’inscrit vraiment dans ce qu’ont fait mes parents et dans ce qu’avait commencé mon grand-père, qui est de faire des vins de terroir, des vins de lieu, qui ne sont pas forcément trop techniques, pas trop aseptisés. Ce qui est intéressant, c’est de faire parler le terroir. Dans cette démarche, on vient de sortir une nouvelle cuvée parcellaire qui s’appelle Fragment : un assemblage de deux parcelles, avec une dominante de malbec et un peu de cabernet sauvignon. »

©DR

Une vision totalement validée par Laurent, le père, et qui enfonce le clou de cette démarche : « On démarre aussi la gamme Cépage, qui est un peu dans la lignée de ce qu’on faisait sur le sémillon et le malbec, mais là, on va la décliner sur les autres cépages, le merlot et le cabernet, sans élevage bois. »

Quant au sémillon, rare sur la planète et typique de Bordeaux, il est emblématique du château. Il fait l’objet de nombreux soins et colle à l’engouement pour les vins blancs. « Dans l’objectif d’augmenter significativement la proportion de vignes blanches, en profitant de terroirs calcaires et argileux très qualitatifs, on voudrait remonter la proportion de sémillon dans notre vin blanc à 50 % », dit Timothée. Le sémillon est parfaitement adapté au terroir de Bouscaut, et résiste mieux que le sauvignon au changement climatique. « Bordeaux peut cultiver avec sérénité sa différence. Sans oublier nos sélections massales sur le sémillon, à partir d’une parcelle mère datant de 1929. On a là vraiment une base génétique qui nous est propre et qui est bonne », se félicite Timothée.

Un engagement environnemental de plus en plus fort

Pour compléter cette vision, en 2024, le château Bouscaut a été labellisé Agriculture Biologique. Un pari audacieux dans un contexte de climat océanique et de rendements plus faibles à cause des épisodes de mildiou plus récurrents : les difficultés sont reconnues, notamment la perte d’une partie de la récolte 2023 sur les merlots. Laurent est malgré tout « fier de cette démarche bio, pour les salariés, l’environnement et l’image, mais la décision de rester en bio est régulièrement réévaluée face aux contraintes économiques et techniques ». Il s’agit de ne pas mettre en péril le château.

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Dans cette veine de « l’air du temps », les étiquettes de Château Bouscaut rouge et blanc s’inspireront dorénavant de l’étiquette du XIXe siècle. Une idée d’Armand, l’autre fils, responsable de la commercialisation des vins de la propriété en parallèle d’une activité commerciale pour la société de négoce familiale La Passion des Terroirs. Quant à celle de Fragments, le parcellaire du château est astucieusement représenté : les parcelles concernées par la cuvée sont en couleur.

Le rouge n’est pas en reste

Enfin, et ce n’est pas un projet mineur, le profil du vin rouge va être repensé : moins resserré sur ses tanins et offrant plus de souplesse « et de buvabilité » : un mot qui ne fait pas peur à Laurent car sans doute mieux accepté aujourd’hui par le consommateur, à juste titre, car buvabilité ne veut pas dire dilué et est compatible avec la garde. Pour cela, l’itinéraire va être repensé « de la date des vendanges jusqu’à la vinification », nous dit Laurent, aidé en cela par le nouvel œnologue-conseil Thomas Duclos, l’étoile montante du Bordelais. Une réflexion est menée pour replanter les cépages sur les terroirs les plus adaptés : repositionnement du cabernet sauvignon sur de grands terroirs, et potentiellement une place plus importante pour le cabernet sauvignon et le malbec au détriment du merlot. Une réflexion partagée à Bordeaux. De quoi amener le rouge au brillant niveau du blanc.

Il s’agit de convaincre un marché difficile. Dans ce contexte, la nouvelle génération apporte déjà sa contribution et une vision d’avenir partagée permet au château de s’adapter aux goûts, et même à l’éthique, du consommateur. Bouscaut est à suivre.

Terre de vins aime

Château Bouscaut Blanc 2023
Vin complexe et texturé. Notes fumées, mentholées, texture grasse en attaque, et finale qui récupère sa tension, fraîche et citronnée. Le sémillon joue intelligemment sa partie en apportant sa chair et sa texture. Il complète bien le sauvignon en adoucissant son profil tout en préservant une incisivité bien étudiée. L’élevage est bien intégré. Un vin équilibré, aux belles dimensions, avec des épaules, mais élégant : gastronomique certes, mais polyvalent (apéritif). Typique de la belle identité de Bouscaut. La note 93-94 attribuée lors des primeurs est confirmée.

Fragments de Bouscaut, Vin Rouge Parcellaire 2023
Produit original, avec une dominante de malbec (80 %), issu de l’assemblage de deux parcelles (une de vignes jeunes, une de vignes vieilles). Arômes de petits fruits rouges et noirs, de sous-bois et de poivre. En bouche, les tanins sont polis et serrés, avec une fraîcheur et une acidité nettes. L’élevage boisé est mesuré et bien ajusté. Déjà buvable, mais avec un potentiel.



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