Ao Yun : par-delà les nuages, le grand cru chinois de LVMH

Impulsé il y a un peu plus de quinze ans par le groupe LVMH, Ao Yun est un ambitieux projet de grand cru chinois, implanté sur des terroirs d’altitude du Yunnan, aux portes du Tibet. Alors qu’il atteint sa maturité, nous sommes partis à la découverte de ce vignoble unique au monde qui sera présent à Bordeaux Tasting les 14 et 15 décembre prochains.

Au début des années 2000, la Chine est davantage perçue comme le nouvel eldorado de la consommation de vin et, côté production, comme un pays délivrant des cuvées de qualité souvent discutable et essentiellement dédiées au marché intérieur, que comme un futur acteur de premier plan sur la scène mondiale des vins fins. Pourtant, le groupe LVMH fait le pari d’y créer un vignoble digne de figurer au côté des grands domaines qui rayonnent déjà dans son portefeuille. En 2008, le géant français du luxe confie ainsi à l’œnologue australien Tony Jordan la mission de trouver l’endroit où produire un authentique « grand cru chinois » capable de rivaliser avec les plus prestigieuses étiquettes internationales.

La quête de Tony Jordan va durer quatre ans, avant de trouver le lieu idéal : celui-ci se situe dans le Yunnan, province située au sud-ouest de la Chine, frontalière de la Birmanie, du Laos et du Vietnam ; le terroir, ou plutôt les terroirs en question se trouvent en altitude, au pied des monts sacrés de Meili, à une encablure du Tibet et de l’Himalaya. Incidemment, la viticulture est déjà présente dans la région : d’abord implantée de façon sporadique par les missionnaires catholiques au début du XXe siècle, elle s’est partiellement développée au début du XXIe sur injonction de l’État chinois, qui cherchait à limiter l’exode rural en offrant aux paysans la possibilité de se diversifier vers une agriculture mieux valorisée.

Un Français aux manettes

En 2012, Maxence Dulou arrive dans le Yunnan pour prendre la direction (d’abord technique, puis générale) du domaine, baptisé Ao Yun – littéralement « Qui vole au-dessus des nuages ». Ce Bordelais, œnologue et ingénieur agronome, passé par Saint-Émilion, le Chili et l’Afrique du Sud, voit dans cette opportunité un challenge à la fois professionnel, personnel, familial… et surtout l’occasion de contribuer à écrire, quasiment à partir d’une feuille blanche, l’histoire d’un vignoble à nul autre pareil.

La culture du sur-mesure

Tout le travail de Maxence Dulou et ses équipes consiste, depuis douze ans, à appréhender et interpréter un terroir unique au monde par son pedigree géographique, géologique et climatique. Ao Yun se trouve au cœur de la région dite des « Trois Fleuves Parallèles », classée à l’Unesco : le Yangzi Jiang (plus long cours d’eau d’Asie), le Mékong et le Salouen inscrivent leurs méandres dans ces paysages montagneux, dominés par le point culminant des monts Meili, à 6 800 mètres – jamais gravi à ce jour. Ces sommets font office de régulateurs météorologiques, en particulier en termes de précipitation au moment des moussons ; ils apportent une fraîcheur naturelle et une ombre portée qui réduit de 30 % le temps d’ensoleillement quotidien, contrebalancée par la force du rayonnement ultraviolet, plus importante à cause de l’altitude. 

De fait, les quatre villages entre lesquels se répartit le vignoble d’Ao Yun se situent respectivement à 2 200 mètres (Xidang), 2 300 mètres (Sinong), 2 500 mètres (Shuori) et 2 600 mètres (Adong). Outre ce delta de quelques centaines de mètres qui les caractérise, ces villages présentent des expositions différentes – les deux premiers se situant sur la rive droite du Mekong, les deux seconds sur la rive gauche –, et des matrices géologiques très distinctes, entre alluvions à composantes de calcaire, colluvions teintés d’ardoises, sols graveleux et sablonneux, schistes, granites et argiles. Au total, le domaine, d’une superficie de près 32 hectares, se divise en 35 terroirs, 314 parcelles et 727 sous-parcelles.

©DR

Une mosaïque comme terrain de jeu

Une véritable mosaïque qui constitue un terrain de jeu passionnant en termes de viticulture, d’autant que le vignoble s’est développé en deux temps : les vignes plantées au début des années 2000 sur impulsion de l’État chinois, qui ont permis de produire les premiers millésimes, puis les vignes plantées à partir de 2012 par l’équipe du domaine, entrées progressivement en production.

Face à ce patchwork, tout est fait « sur mesure », voire haute couture : 110 familles de paysans locaux interviennent dans l’entretien du vignoble, de la taille aux vendanges, en passant par le rognage, opéré en deux temps et « à la carte » en fonction des conditions de stress hydrique ; tout est fait à la main, sans mécanisation, y compris les traitements intégralement en bio (pour un total de travail manuel évalué à 3 500 heures par hectare et par an) ; une irrigation mesurée et adaptée au rang, voire au pied près, est appliquée grâce à l’eau des montagnes pour permettre à la vigne de ne pas trop souffrir, d’amener les raisins à parfaite maturité et d’équilibrer l’évapotranspiration, accrue par la sécheresse de l’air en altitude.

De fait, ici, les hivers et les printemps sont secs, les étés normalement frais et humides, et les automnes frais, secs et ensoleillés – ce qui peut conduire à de lentes maturations et à des vendanges très étalées, le record étant de 68 jours en 2018, du 7 septembre au 15 novembre. Des conditions qui conviennent particulièrement bien au cabernet sauvignon, lequel domine largement l’encépagement, suivi du cabernet franc, du merlot, du petit verdot et de la syrah.

Le meilleur des mondes

Le souci du détail qui prévaut à la vigne se retrouve bien sûr au cuvier et au chai : la vaste winery, construite en 2014 dans le village d’Adong, abrite une batterie de petites cuves inox permettant une vinification au plus près du parcellaire. Côté élevage, les contenants en bois – barriques bordelaises neuves ou d’un vin –, cèdent la priorité aux jarres en grès de Chine et aux wineglobes : pour Maxence Dulou, tout doit être mis en œuvre pour respecter au maximum, sans maquillage, l’identité de chaque parcelle, en préservant l’intensité, la fraîcheur et le toucher de tanins qui constituent la personnalité d’Ao Yun depuis le premier millésime, en 2013.

Si le travail d’assemblage, qui vise à sublimer chaque année l’ADN de chaque village pour en tirer les meilleures combinaisons, s’appuie sur un savoir-faire éminemment bordelais, l’obsession de l’expression du lieu, qui a présidé à la naissance d’une collection de « Village Crus », relève d’une inspiration très bourguignonne. 

©DR

Une seule limite, le ciel

Le meilleur des mondes, en quelque sorte. Et pour y parvenir, un investissement colossal est consacré en permanence au traitement de chaque donnée météo, de chaque détail cartographique, de chaque variation des cycles de maturation. Car dans ce coin de la planète aux conditions géographiques déjà si particulières voire « extrêmes », le changement climatique s’invite aussi – à tel point que le millésime 2020, sans doute le plus abouti du domaine (voir plus loin), est sans doute aussi le plus inhabituel dans son déroulement. 2020, une année symbolique à plus d’un titre pour Ao Yun, puisque c’est cette année-là, dans le cadre d’une dégustation à l’aveugle, le « Jugement de Hong Kong », que le millésime 2015 du domaine a damé le pion à quelques poids lourds bordelais…

L’année suivante, Ao Yun faisait son entrée sur la place de Bordeaux, une façon d’accélérer son rayonnement international. À l’heure actuelle, la commercialisation des vins se fait pour moitié en Chine continentale, le reste des marchés se partageant à parité entre l’Asie (Hong Kong, Singapour, Japon), les États-Unis et l’Europe. Et pour continuer sur cette belle ascension, une ambitieuse séquence de travaux est avancée, qui aboutira d’ici 2027 à une « Guest Experience » de haut vol, destinée à faire de chaque visiteur venant jusqu’à ce lieu exceptionnel un ambassadeur à vie. Ao Yun n’a pas fini de planer au-dessus des nuages : la seule limite, c’est le ciel.

Retrouvez Ao Yun parmi les grands vins étrangers présents à l’événement Bordeaux Tasting, les 14 et 15 décembre. Billetterie en suivant ce lien.

TERRE DE VINS AIME

Ao Yun 2020320 €
97/100

Nez à la fois dense, plongeant et complexe. On devine un nappage de fruit noir (cassis, mûre, myrtille) soutenu par des notes d’encens, de rose, de fleur mauve. Cette dimension florale lui confère une séduction supplémentaire. On discerne aussi de fines notes de cèdre, de pin maritime, une légère fraîcheur océanique. Il a de la puissance, mais elle est contenue, mesurée. La bouche s’annonce sur une attaque ample et tonique, qui s’épure ensuite vers une matière suspendue, aérienne, en dentelle. Le soutien tannique est velouté, avec un grain très fin qui lui donne de la relance. Finale salivante, savoureuse, à la légère sucrosité réglissée. C’est un millésime référence pour Ao Yun.

Cet article Ao Yun : par-delà les nuages, le grand cru chinois de LVMH est apparu en premier sur Terre de Vins.

Commentaires

  • Il n'y a pas encore de commentaires.
  • Ajouter un commentaire