Aux origines de la Maison Louis Latour, le terroir d’Aloxe-Corton

Au début du XVIIIe siècle, le terroir d’Aloxe-Corton n’était pas classé parmi ceux qui produisaient des grands vins de garde, mais plutôt parmi les crus à déguster jeunes, « en primeur ». Sa renommée est venue grâce au travail et à l’inventivité de grands domaines et de grands négociants, dont la famille Grancey et son successeur, la Maison Louis Latour. Présente pour la première fois à Bordeaux Tasting les 14 et 15 décembre prochains, nous sommes partis à la découverte de son histoire.

La colline de Corton se situe à la jonction entre la côte de Beaune, dominée par les blancs, à laquelle elle est rattachée, et la côte de Nuits, dominée par le pinot noir. Aujourd’hui Grand Cru à la fois pour les blancs et les rouges, sa réputation a connu des aléas au fil de sa longue histoire, de même que l’équilibre entre les deux couleurs. Parfois réduits à la portion congrue, les blancs ont cependant toujours été présents, même dans les périodes où les vins rouges occupaient le devant de la scène.

Ainsi, au XIIIe siècle, si on en croit l’essai rédigé par Louis Latour (1932-2016) sur l’histoire du vignoble bourguignon depuis le Ier siècle, on relève dans le finage de Corton une « Vinea Alba », c’est-à-dire en latin une « Vigne blanche », alors qu’après la mode antique des vins blancs, sévissait au contraire celle des vins vermeils (rouges). L’encépagement homogène de cette parcelle, une rareté en ces temps médiévaux où les pieds de raisins noirs et blancs étaient en général complantés, fait même penser qu’il s’agissait d’une vigne appartenant à un grand domaine tourné vers les vins fins.

La croix de Charlemagne sur le climat de Corton-Charlemagne ©DR

La première faveur pour les rouges

Cet encépagement très minoritaire se maintiendra jusqu’à la fin du XIXe siècle, où le raisin blanc ne restait plus présent que dans la partie haute de la colline, sur le versant sud du Corton-Charlemagne, planté en aligoté. Il est vrai qu’au XVIIIe et XIXe siècle, la clientèle, grâce au potentiel de vieillissement qu’ouvrait le nouvel usage de la bouteille, recherchait de plus en plus des vins de garde et que le vin blanc, compte tenu d’un savoir-faire technique encore limité et de la quantité plus faible de tanins, avait tendance encore à s’oxyder et à jaunir. C’est donc en travaillant à la mise en avant de ses vins rouges que le village d’Aloxe-Corton a d’abord misé pour construire sa réputation.

Le chemin sera long, car comme l’indique Arnoux en 1728, dans sa « Dissertation sur la situation de la Bourgogne », les vins rouges d’Aloxe-Corton étaient d’abord connus pour être des « vins de primeur », c’est-à-dire des vins qui se dégustaient jeunes. « Ce petit village produit des vins d’une extrême délicatesse… Il ne participe ni du ferme, ni du raide que donne aux vins le haut des collines, il en a tout le tendre, rien du dur et, par conséquent, il est sujet à durer très peu, à s’engraisser et à prendre une mauvaise qualité de douceur. »

Des vins « à part »

Sans doute les modifications dans les méthodes vinicoles initiées par certains grands propriétaires qui prolongeaient davantage la cuvaison pour produire des vins plus colorés et tanniques tenant mieux dans le temps, tout en introduisant des techniques comme l’allumette hollandaise pour améliorer l’hygiène des pièces bourguignonnes, ont-elles joué un rôle déterminant pour changer cette perception. Dès 1768, Hérissant classe en tout cas à part les Corton par rapport au reste de la côte de Beaune. Sans hisser les vins de cette « montagne » au niveau de ce qu’il appelle les vins d’arrière boîte, c’est-à-dire de très longue garde, que sont pour lui les « Nuys, Prémeaux, Vosne, Chambolle et Morey », il ne les range en tout cas pas parmi les primeurs qu’il identifie comme « les vins de Beaune, Pommard et Vollenay », mais dans une catégorie intermédiaire, celle des vins « de seconde boîte », aux côtés des vignobles de « Dijon, Savigny, Monthelie, Auxey et Chassagne. »

Pour atteindre ce statut de grand vin de garde, il faudra en réalité attendre la révélation occasionnée par la dégustation d’une bouteille de Corton 1795 retrouvée par le Comte de Grancey en 1845. Celle-ci sut ravir les papilles des participants du Congrès des vignerons de Dijon. Or, ce colloque fut justement le point de départ de la contre-attaque œnologique de la Bourgogne, qui déclinait depuis plus d’un siècle face à Bordeaux dont les vins plus corsés et noirs étaient réputés beaucoup plus aptes au vieillissement.

La colline de Corton

La famille Grancey à Aloxe-Corton, des vignerons d’avant-garde

Le Comte de Grancey était l’héritier du domaine du président Lebault qui fournissait au XVIIIe siècle Voltaire. À la différence de bon nombre de notables, ce parlementaire gérait ses vignes en direct et ne s’intéressait pas qu’à la dimension commerciale, mais également à la partie technique. Il était l’archétype de ces grands propriétaires agronomes qui par les améliorations qu’ils apportèrent permirent au vignoble d’Aloxe-Corton d’émerger. Sa famille put échapper aux confiscations de la Révolution en refusant d’émigrer, si bien que son petit-fils, en 1834, continua à développer le domaine, en faisant appel à un architecte espagnol pour construire une cuverie d’une modernité incroyable.

La cuverie Corton-Grancey ©DR

Encore utilisée de nos jours, elle fonctionnait entièrement par gravité, grâce à son installation à flanc de colline dans une ancienne carrière de pierre. Le raisin était déchargé par derrière, depuis une porte donnant directement sur les vignes, puis transféré un étage en dessous dans la cuverie, avant que le vin ne soit élevé sous bois dans les caves à 10 mètres de profondeur. Le chargement des cuves grâce à des charriots coniques circulant au-dessus sur des rails était une merveille technologique.

Ils s’ouvraient par en dessous, faisant office d’entonnoir, mais surtout ils étaient en cuivre avec un double fond. Lorsque la température du raisin était trop froide et risquait de gêner la fermentation, on pouvait ainsi remplir d’eau chaude le double fond du chariot et réchauffer rapidement le raisin en profitant du caractère très conducteur du cuivre. C’est à cette époque-là également que le domaine s’élargit passant de 22 hectares à 35 hectares.

L’un des chariots en cuivre permettant d’acheminer le raisin dans les cuves ©DR

La reprise du domaine par la Maison Louis Latour

Pour autant, ce type de grand domaine connaît des difficultés au XIXe siècle. Plusieurs facteurs entrent en compte. Du point de vue commercial, ces propriétés n’avaient pas besoin au XVIIIe siècle de construire des réseaux de distribution très élaborés. Leur clientèle était en effet constituée de grands aristocrates qui venaient acheter directement et en une seule fois au domaine leurs lots. C’était une manière de sécuriser leurs approvisionnements de vins de Bourgogne dont ils savaient qu’ils étaient rares et difficiles d’accès. Il s’agissait à chaque fois de très grosses commandes. Voltaire commandait ainsi tous les ans quatre pièces de Corton et on buvait à sa table de Fernay l’équivalent de trois bouteilles par jour. À lui seul, il représentait 1 % des commandes du domaine Lebault. Une poignée de clients comme lui suffisait donc à faire vivre la maison.

La cuverie Corton-Grancey

Au XIXe siècle, ces aristocrates aux fortunes immenses ont disparu. Ils ont été remplacés par de simples bourgeois qui ne boivent qu’occasionnellement, achetant leurs bouteilles au gré de leurs envies auprès des marchands de vins les plus proches. La concurrence des autres vignobles se fait également plus forte. Les vignerons passent désormais par la place de Paris, et ont besoin pour vendre de véritables négociants dotés de solides réseaux internationaux d’agents. Le phylloxéra achèvera de mettre en difficulté le domaine de Grancey, la famille considérant désormais cet investissement comme peu rentable et préférant se séparer de ses vignes pour se consacrer à ses autres activités.

Une histoire de tonneliers et négociants…

C’est ici qu’intervient Louis Latour (1835-1902). Lui-même est issu d’une famille de vignerons qui possède des parcelles à Corton au moins depuis le début du XVIIIe siècle. En 1731, son ancêtre Anne Michelin, a en effet reçu en partage devant notaire, des parcelles de la « Vigne aux Sains », des « Caillettes », des « Grèves » et des « Bressandes ». Autant de climats légendaires où la Maison Latour est aujourd’hui encore présente. Mais dès le XIXe siècle, la famille, qui pratiquait aussi le métier de tonnelier, s’est spécialisée dans le négoce et s’est installée à Beaune, la plaque tournante du commerce des vins bourguignons.

Outre sa propre production, elle achète et revend des vins issus parfois des crus les plus prestigieux comme La Romanée Conti, qu’elle expédie aux quatre coins du monde, que ce soit à Bucarest, à Buenos Aires, en Russie, ou en Egypte. Louis Latour qui ne croit pas à la condamnation du vignoble par le phylloxéra et parie sur les nouvelles solutions techniques qui commencent tout juste à s’esquisser, décide de racheter le domaine de Grancey.

Les tonneliers de la Maison Louis Latour à l’ouvrage rue des Tonneliers à Beaune ©DR

Le chardonnay en atout majeur

Cette reprise en main va être l’occasion d’une remise en avant des blancs. Profitant en effet du phylloxéra qui nécessite de replanter l’intégralité du vignoble, il remplace les plants d’aligoté par du chardonnay, un cépage blanc également, mais plus fin et plus noble. Alors qu’au XIXe siècle, Montrachet tenait le haut du pavé sur cette couleur, petit à petit les Corton-Charlemagne vont commencer à rivaliser, et en 1935, lorsque sont créés les appellations d’origine contrôlée, c’est en grande partie grâce à l’action de Louis Latour que Corton est également classé en grand cru pour ses blancs. Aujourd’hui les chardonnays ne se cantonnent d’ailleurs plus au haut de la colline, mais sont descendus plus bas sur les coteaux, où ils côtoient le pinot noir tout en restant cependant minoritaires.

Christophe Deola, directeur du domaine Louis Latour ©DR

La réussite du chardonnay de Corton-Charlemagne s’explique aussi par les caractéristiques particulières de ce « climat ». Comme le souligne Christophe Deola, le directeur du domaine, l’exposition plein sud est compensée par la nature des sols composés de marnes.  On a ainsi l’enrobage et la puissance que l’on aime dans les grands bourgognes, tout en gardant une minéralité et une tension supérieures à celle que l’on retrouve par exemple sur les Batard-Montrachet. La contrepartie, c’est qu’il leur faudra plus de temps pour être accessibles.

Terre de vins aime :

Corton-Charlemagne 2022. La Maison Louis Latour est la plus grande propriétaire de ce climat, où ses chardonnays se concentrent sur la partie exposée sud-est. Le vin offre des arômes savoureux de fleurs blanches, de fruits à noyau jaunes ainsi que de jolies notes d’élevage briochées et vanillées.

Retrouvez la Maison Louis Latour à Bordeaux Tasting les 14 et 15 décembre, billetterie en suivant ce lien.

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