Propriété depuis plus d’un siècle de la famille Bailliencourt, le château Gazin, référence majeure de l’appellation Pomerol, entame un nouveau chapitre avec l’arrivée aux manettes d’une nouvelle génération, incarnée par Élise et Édouard de Bailliencourt. Le frère et la sœur peuvent s’appuyer sur la continuité technique incarnée par le directeur Mickaël Obert.
« Tout changer pour que rien ne change ». Cette citation bien célèbre du « Guépard » de Lampedusa pourrait bien s’appliquer à la famille Bailliencourt. Originaires du nord de la France, ces négociants s’installent au début du XXème siècle sur la rive droite du vignoble bordelais, faisant dans un premier temps l’acquisition du château La Dominique (revendu dans les années 1960) puis du château Gazin, à Pomerol, dès 1918. Voilà donc plus d’un siècle que Gazin est le lieu d’ancrage et le cœur battant de la famille, qui s’emploie à perpétuer la riche histoire de cette propriété – remontant au moins aux ordres des Templiers et Hospitaliers, c’est-à-dire quelque chose comme le XIIème siècle. Un tel héritage, cela se préserve, cela se choie, et cela se transmet, autant que faire se peut. Les Bailliencourt s’y sont jusqu’ici employé avec un mélange – très bordelais – de talent et de discrétion, installant Château Gazin comme une référence majeure de l’appellation Pomerol, par la qualité, le classicisme étudié, et surtout la régularité de ses vins, tout comme par son prix, certes conséquent mais encore accessible aux amateurs, là où d’autres domaines phares du voisinage ont eu tendance à faire grimper l’addition.
Depuis les années 1980, la destinée de Gazin était entre les mains de la quatrième génération de propriétaires, incarnée par les frères Nicolas et Christophe de Bailliencourt. Nicolas, en particulier, a beaucoup incarné le domaine, développant sa notoriété à l’international, s’impliquant dans de nombreuses instances comme l’Union des Grands Crus ou l’Académie des Vins de Bordeaux. À l’heure de la retraite pour les deux frères, ce sont les enfants de Christophe, Élise et Édouard de Bailliencourt, qui reprennent en douceur les rênes de Château Gazin.
S’ils ont tous deux grandi à Paris, Gazin, véritable lieu de vie et de rassemblement familial, a toujours occupé une place centrale dans leur vie. Élise, installée à Bordeaux depuis de nombreuses années, a fait une école de haute couture mais s’est depuis longtemps prise à la passion du vin, se forgeant même une formation technique et décrochant le DUAD (Diplôme Universitaire d’Aptitude à la Dégustation) à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin. « Le passage vers le vin s’est fait progressivement, par la dégustation, par l’apprentissage des connaissances techniques. J’aime y voir des parallèles avec le monde de la haute couture, dans lequel j’ai été formée. Aujourd’hui je passe de la passion à l’incarnation, et notre génération passe de l’ombre à la lumière. Nous devons nous donner le temps de nous glisser dans le costume qui a été porté par les générations précédentes, en nous rappelant que nous sommes un maillon, qui vient porter le flambeau pendant quelque temps, dans un esprit de pérennité », déclare-t-elle.
À ses côtés, Élise peut compter sur la présence de son frère cadet Édouard. Formé en école de commerce, ce passionné de gastronomie a co-fondé il y a sept ans Spectre, une agence de design sonore qui « habille » l’environnement musical des grands hôtels et grands restaurants. Avec un bagage très marketing, communication et international, Édouard apporte une complémentarité au profil plus « terrain » de sa sœur.
Tous deux l’assurent, leur arrivée à la tête de Château Gazin ne signifie pas l’amorce d’une révolution, mais d’une évolution dans la continuité : « le vin est plus que jamais la priorité. Gazin possède un magnifique terroir et jouit déjà d’une belle reconnaissance. À nous de continuer à faire grandir et progresser la propriété. Il y a encore du potentiel à explorer : aller toujours plus dans la précision, dans la connaissance de nos terroirs, répondre toujours mieux aux enjeux climatiques et environnementaux, signer des vins adaptés à l’évolution des goûts du consommateur tout en respectant notre identité pomerolaise, et s’appliquer à faire rayonner Gazin sur les plus belles tables, repenser sa distribution, dans une relation de proximité avec le négoce ».
Pour y parvenir, Élise et Édouard de Bailliencourt peuvent compter sur l’expertise de Mickaël Obert, qui assure la direction technique du domaine depuis 2005. Cet ingénieur agronome et œnologue de 52 ans connaît le vignoble sur le bout des doigts, il mesure tout le chemin parcouru mais aussi tout ce qu’il reste à accomplir pour maintenir Gazin dans la course à l’excellence : « Gazin, c’est un vignoble d’un seul tenant, 24 hectares de vignes, sur une matrice d’argiles et de graves. Le merlot y occupe 85% de l’encépagement, le reste se partageant entre cabernet franc et cabernet sauvignon : il apparaît à la faveur du changemnt climatique, et lorsqu’on regarde nos sols à la loupe, que le cabernet sauvignon a une grande carte à jouer dans les restructurations à venir. Nous avons déjà beaucoup remanié le vignoble au cours des vingt dernières années, mais il faut continuer et accélérer, rajeunir le matériel végétal par endroits, changer les porte-greffes, anticiper les sécheresses à venir, s’autoriser à faire plus de rendement… Le choix du matériel végétal est plus que jamais primordial. Nous projetons ainsi une restructuration de 20% à 25% du vignoble sur les 10 prochaines années ». Mickaël Obert, qui déclare avoir bénéficié d’une quasi carte blanche sur le plan technique avec la génération précédente, estime « très excitant d’être très excitant d’être le trait d’union entre deux générations de la famille, d’apporter mon expérience tout en m’appuyant sur la vision d’Élise et Édouard, la nouvelle image qu’ils veulent incarner ».
Cette nouvelle image n’a rien, une nouvelle fois, d’une révolution de palais : « assumer le classicisme de Château Gazin tout en le modernisant », telle est la feuille de route de cette nouvelle équipe qui a déjà pour projet de rénover les bureaux, les espaces d’accueil et, à terme, l’outil technique, le cuvier actuel datant du milieu des années 1990. Dans leur ambition, Élise, Édouard et Mickaël peuvent aussi compter sur les conseils avisés de l’œnologue Thomas Duclos, du laboratoire ŒnoTeam, qui accompagne la propriété depuis 2015. On pourrait difficilement imaginer un meilleur attelage pour aider Château Gazin à s’inventer de beaux lendemains.
Château Gazin 2019 : Toute l’aristocratie d’un grand pomerol se retrouve dans ce Gazin à la fois délicat, aérien, parfumé, sensuel, et irrigué par une magnifique structure, une architecture de tannins d’un soyeux suprême. La silhouette du vin est féline, racée, pleine d’un juteux savoureux, où la cerise noire se pare de poivre revigorant. Délicieux, et taillé pour les âges. (env. 90 €)
Château Gazin 2009 : Sur un millésime généreux, solaire, qui a eu le temps d’apaiser sa fougue en bouteille, on discerne un nez concentré et plongeant, entre coulis de mûre, liqueur de café, tabac, touche de truffe et d’humus. Belle densité en bouche, un dessin sphérique, tapissant, du volume mais une définition de tannins finement grillée et une finale légèrement fumée et réglissée, très savoureuse. (env. 180 €)
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