Alexandre de Lur Saluces disparaissait en juillet 2023, après avoir défendu avec persévérance pendant plusieurs décennies le Sauternes. Aujourd’hui, c’est son fils Philippe qui tient les rênes du groupe familial. Ce successeur a-t-il fait prendre quelques inflexions à ce beau domaine ? Ou a-t-il poursuivi dans la veine de son père qui faisait de l’exigence, de l’absence de compromis et de l’obstination un credo, parfois à contre-courant de la pensée commune ?
Elle s’est construite plutôt récemment, dans la seconde moitié du 20ème siècle, alors que le domaine n’avait pu être classé en 1855, car il s’agissait alors d’une ferme. Le premier millésime est 1943. Une ascension fulgurante vers l’excellence, accomplie avec un sacrifice et un niveau d’exigence hors du commun. Alors que la tendance en sauternais est de produire un peu de blanc sec haut de gamme, Philippe tient son cap : « on n’en produit plus depuis 2000. C’est une décision définitive mais on se repose la question tous les cinq ans. Si cette production se fait avec des parcelles qualitatives alors on les retire de la production de liquoreux. Le risque c’est que le blanc sec supplante le liquoreux. Mais si l’occasion se représentait avec certaines parcelles, cela ne me dérangerait pas de recommencer à en faire et d’élargir la gamme. Cela ne peut se faire toutefois au détriment de la qualité. Mon père me disait « ne te sert jamais de ton nom mais sert ton nom ». Et attention à ne pas sauter du bateau pour épouser la sirène. Cette connaissance diffuse du Sauternes pourrait disparaitre. On peut aussi ne plus intéresser les universités pour la recherche ». Et de se référer à Tokaj qui produit de plus en plus de sec et de moins en moins de liquoreux. « Quand tu as du mal à nager on te met une bouée. Mais on n’apprend pas à nager avec une bouée ». La recherche d’une marge à tout prix ferait-elle perdre son âme aux belles identités ? Le Sauternes et rien que le Sauternes, est-ce une pensée jusqu’au-boutiste ?
Jusqu’au-boutiste comme pourrait être l’idée de se tenir à un seul vin liquoreux à Fargues. « On ne fait pas de deuxième vin » dit Philippe. Et Philippe expliquera c’est la tentation de ne pas prendre de risques et de cueillir certaines grappes sans attendre qu’elles botrytisent pour les dédier au second vin. Et lorsqu’on évoque cette tribune écrite en 2020 par Alexandre de Lur Saluces et qui dénonçait l’utilisation du Sauternes dans la mixologie, Philippe commente : « on en a parlé un long moment avant qu’il ne la publie. papa était vraiment collectif. Ce n’est pourtant pas l’impression qu’il donnait ». François Amirault, responsable d’exploitation, confirme : «votre père a laissé une image de quelqu’un qui représentait l’ancien temps, une statue du commandeur. Mais ce n’est pas vrai du tout. Il m’en avait parlé aussi » Philippe poursuit : « je n’aurais pas exprimé cette tribune comme cela parce que je ne vis pas les choses comme papa les vivait. Je suis d’une génération qui voit les choses sous un prisme différent, mais sur le fond, j’aurais exprimé la même chose». Le Sauternes pose question sur la manière de le consommer, beaucoup de consommateurs n’osant pas des accords mets/vins.
Philippe se souvient d’un épisode au Georges V, où, rencontrant de jeunes sommeliers, il avait indiqué que le Sauternes pouvait accompagner les huîtres. Fou rire d’un jeune apprenti qu’il retrouve plusieurs années après et qui lui dit : « j’ai piqué un fou rire car j’ai pensé que les bordelais faisaient n’importe quoi pour vendre leur vin. Mais ça a été une gifle : j’adore cela maintenant ». Le réflexe qui mène à l’échec serait de dire « je sens de l’ananas dans le vin donc je vais faire une recette de dessert à l’ananas ». Philippe argumente : « mais les chefs ont changé parce qu’ils se sont rendus compte que sucre et sucre ça ne marche pas ». Il faut donc du contraste pour réaliser le meilleur accord met/vins, y compris avec du salé ! « Il faut des recettes qui créent le déséquilibre. Mais on peut faire des recettes qui ne sont pas surtravaillés. Si l’on diffuse l’idée qu’il faut des plats élaborés, alors ce n’est pas la vraie vie » conclut Philippe. Pas qu’à l’apéritif le Sauternes donc, qu’on se le dise.
Philippe de Lur Saluces garde donc le cap. Nul besoin d’inflexion, ou sinon à la marge, car le socle des valeurs qui ont fondé Fargues est bien construit et semble à l’épreuve du temps.
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