Vous souvenez-vous de votre première gorgée de vin ? Cette première rencontre de votre palais avec le merveilleux breuvage… Dans chaque magazine Terre de vins, un écrivain ou une écrivaine nous raconte, avec ses mots bien sûr, sa « première gorgée ». Cette semaine Florence Delaporte.
« Nous étions invités au salon du livre de Cuneo, et c’était mon anniversaire. Quarante ans, le plus bel âge de ma vie. Gâtée, amoureuse.
On nous a donné une chambre d’hôtel luxueuse avec un matelas profond comme un berceau, que nous avons testé tout de suite. L’odeur de sa peau, de sa nuque près de la naissance des cheveux, l’odeur de son aine, de ses paumes. L’odeur de son haleine au fond de moi, l’odeur de nous deux dans mon haleine.
Aux tablées d’auteurs, on nous servait un rouge local inouï qui bouleversait tout ce que je savais du rouge. Un bouquet étrange comme le bois de rose qui n’est pas orthodoxe en France, un vin suave et rond mais aussi charnu et persistant. Nous avons sillonné les routes du Piémont, très lentement. Le poète que j’aimais savourait le paysage. Une légère brume automnale brouillait l’ondulation douce des collines, le ciel insondable. Il me décrivait les vignes, les domaines viticoles de brique rouge. J’ai garé l’automobile à l’ombre d’un château crénelé. Nous nous sommes installés en terrasse. On nous a servi du vin qui portait le nom du village.
C’est étrange de boire quelque chose qui a le goût de son amour. De sa peau, de sa bouche, de ses cheveux, de ses récits, de ses émerveillements. De sa simplicité et de ses mystères. De ses silences quand il serre les lèvres de contentement pour rouler du tabac entre ses doigts. Comme lors de notre rencontre dans une ville française aux maisons de briques crénelées, quand il me jetait des coups d’œil incertains. Tassés côte à côte dans ce café, les autres avaient disparu, nous laissant nous humer sans nous regarder, épaule contre épaule, cuisse contre cuisse, pour une exploration muette et enchantée de nos musiques et de nos parfums. Somptueuse douceur du barolo en octobre, roi des vins, vin des rois. Nous étions invités sur la planète à être des princes, sans rien dire.
Florence Delaporte a publié son premier livre, « Je n’ai pas de château » chez Gallimard, en 1998, et depuis une douzaine de livres. Dont ce recueil de nouvelles « De l’amour et du vin » (L’Ire des arges 2023) qui célèbre ses passions épicuriennes pour le bien vivre et le joli boire.
Cette chronique est à retrouver dans le magazine Terre de vins actuellement en kiosques et sur notre kiosque digitale.
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