La première gorgée de… Jean-Marie Laclavetine

Vous souvenez-vous de votre première gorgée de vin ? Cette première rencontre de votre palais avec le merveilleux breuvage… Dans chaque magazine Terre de vins, un écrivain ou une écrivaine nous raconte, avec ses mots bien sûr, sa « première gorgée ». Cette semaine Jean-Marie Laclavetine.

« Je suis né à Bordeaux, mais c’est au pays de Rabelais que j’ai été introduit aux délicats mystères de la dive boutanche. Mon guide se nommait Jean-Jack Martin, cher ami récemment disparu dont la science pantagruélienne aura marqué des générations de buveurs illustres et de vérolés très précieux dans la région et au-delà. Dès notre rencontre, ce bon géant a sondé l’abîme de mon ignorance, et décidé de prendre mon avenir en main. Je me souviendrai toujours de notre première virée en bords de Loire, ce jour d’hiver où il m’a emmené de cave en cave à la rencontre de ses amis vignerons. Nous goûtions beaucoup, recrachions peu. À midi, nous nous sommes installés dans une sorte de buvette où il avait ses entrées. Après avoir mis à tiédir sur le radiateur un pot de rillons de Touraine tandis qu’un flacon de la maison Foreau faisait son apparition par magie sur la table – un vouvray demi-sec de l’an de grâce 1970 –, il a commencé à me raconter le vin. La leçon allait durer près de quarante ans. La saveur de ce chenin-là persiste sur mes papilles.

Que serait l’homme sans le vin ? Une bête silencieuse et triste. Partout le vin accompagne la vie, et si Jésus avait fait preuve d’une vraie générosité, il aurait fait bénéficier la terre entière, et non le seul microscopique hameau de Cana, des bienfaits du breuvage aux mille vertus. Imaginez les sources et les rivières, les lacs et les mers, les ruisseaux et les canaux prodiguant à jets continus leurs splendeurs ambre ou grenat : un Niagara de sauvignon, un Danube de cabernet, la Loire chenin et la Garonne merlot se rejoignant dans un océan de rosé… Car si le vin est multiple, sa bonté est unique. Continuons donc de mettre en pratique le précepte du grand Omar Khayyâm : « Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre. »« 

Romancier, traducteur, mais encore éditeur chez Gallimard, Jean-Marie Laclavetine a publié une trentaine de romans, essentiellement dans la collection blanche de Gallimard. De son écriture douce, il déploie l’art des silences, des fils invisibles, des tragédies tues, de l’universel à la plaie irréparable de l’intime. « La Vie des morts », paru en 2021 et cette année en poche, évoque la mémoire d’une sœur, emportée par une vague à Biarritz en 1968 et comment ce drame a marqué à jamais l’histoire familiale.


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