Larcis Ducasse : David Suire, l’homme de l’art

Après plus de vingt ans de collaboration étroite avec Nicolas Thienpont, David Suire assure désormais seul la direction du château Larcis Ducasse, Premier Grand Cru Classé de Saint-Émilion. Seul, vraiment ? C’est mal connaître le goût du collectif de ce technicien discret et chevronné qui entend assurer une continuité dans la quête d’excellence qui prévaut dans cette belle propriété de la famille Gratiot-Attmane.

C’est une annonce passée dans la torpeur de l’été, entre deux épreuves des Jeux Olympiques et alors que les gens de la vigne s’affairaient à tenir à bout de bras un millésime éprouvant pour les nerfs : dans un communiqué, les propriétaires du château Larcis Ducasse, premier grand cru classé de Saint-Émilion, annonçaient que Nicolas Thienpont, qui assurait la direction de l’exploitation depuis 2002, se retirait « pour se consacrer pleinement à ses propriétés familiales et à Château Pavie Macquin, début de son histoire à Saint-Émilion en 1994 ». Plus loin, ce même communiqué précisait que « le passage de relais progressif souhaité par les propriétaires à leurs descendants sera également celui de Nicolas Thienpont à David Suire et aux équipes de Larcis Ducasse à compter du 1?? août 2024 ».

Pas de rupture, mais de la continuité

Un « changement dans la continuité » et dans la discrétion, donc, pour une propriété qui a toujours cultivé une certaine culture de la sobriété dans sa façon de communiquer. Rétropédalons un peu : depuis 1893 et son acquisition par Henry Henriques-Raba, le château Larcis Ducasse est demeuré dans la même famille. La dernière génération a veillé, nous précise toujours le communiqué, à « conserver ce magnifique héritage dans leur patrimoine en confiant la cogérance à Ariane Gratiot, fille de Jacques Olivier Gratiot et à Amel Attmane, fille de Jeanne Attmane ».

Pour ce qui est de la direction du vignoble, le passage de relais entre Nicolas Thienpont et David Suire est on ne peut plus naturel : les deux hommes sont arrivés ensemble à Larcis Ducasse en 2002, le premier faisant office de mentor pour le second, qui n’avait alors que 22 ans.

« J’étais encore en train de terminer ma formation d’œnologue lorsque Nicolas m’a proposé de le rejoindre », se rappelle David Suire. « C’était un gage de confiance énorme de la part de Nicolas envers un jeune technicien, qu’il avait seulement eu en stage sous sa responsabilité. Depuis, nous avons collaboré ensemble sur 22 millésimes, ce qui nous a permis d’apprendre à connaître, à interpréter et à aimer ce magnifique terroir de la côte sud de Saint-Émilion. Le fait que Nicolas se retire ne signifie en aucun cas une rupture : nous avons appris, évolué ensemble, et c’est ce que j’entends continuer de faire avec l’équipe en place, avec les jeunes qui nous ont rejoints, et surtout avec la famille Gratiot-Attmane, qui nous fait confiance pour hisser encore plus haut la qualité des vins de Larcis Ducasse. »

Élégance et finesse, la « signature Larcis »

La qualité des vins, parlons-en. Il n’a échappé à personne connaissant un peu le vignoble bordelais que les 11 hectares de Larcis Ducasse ont toujours été propices à la naissance de vins magnifiques – comme en atteste la verticale publiée dans le numéro 95 de Terre de Vins et comme le confirme la superbe montée en puissance du cru, notamment lors des dégustations en primeurs, depuis quelques années. Contrairement à l’intuition qui pourrait nous faire croire qu’un vin né sur des terroirs argilo-calcaires en côte sud serait nécessairement signé par la concentration et la puissance, c’est l’élégance, la finesse et la verticalité qui constituent plutôt la « signature Larcis ».

Une signature que David Suire entend bien préserver : « c’est un travail de longue haleine, un travail collectif, que nous avons entamé avec Nicolas Thienpont, et que je continuerai de mener avec l’équipe. Nous savons ce que nous voulons aller chercher, une quête inlassable et exigeante du détail, du subtil, de ce qui touche au caractère singulier du lieu. L’objectif est de s’affranchir des codes génériques du grand vin : puissant, généreux, mais encore ? Qu’avons-nous à raconter, ou surtout à faire raconter à ce terroir ? C’est vers le toucher, la dimension tactile du grain de tanins, le paysage aromatique, le déroulé du vin que tout se joue, et c’est infini. D’autant que l’autre calque qui se superpose est l’histoire de chaque millésime, les conditions différentes dans lesquelles nous faisons du vin chaque année. »

Remettre l’ouvrage sur le métier

À cet égard, nous précise David Suire, l’enjeu se situe dans la rencontre entre l’humain et le vivant. Soit la conservation d’un savoir-faire, d’une connaissance du terroir viticole, la préservation du patrimoine végétal, et une compréhension toujours plus fine des sols, des expositions, du micro-climat, des cycles de maturités, de l’influence de la présence de sources sur l’exploitation. Mais aussi une réflexion sur les sélections massales, les porte-greffes, la biodiversité, la taille de la vigne, les travaux des sols, la gestion des feuillages… Autant de paramètres qui impriment une quantité considérable de variables possibles dans un même millésime, à l’heure où le changement climatique impose aux vignerons une réactivité de chaque instant, et non la reproduction de recettes éprouvées.

2024 a constitué à ce titre un véritable « test à ciel ouvert » pour David Suire et son équipe, à laquelle le directeur a annoncé en préambule que « les vendanges n’allaient sans doute ressembler à rien qu’ils avaient connu jusqu’à ce jour et exigeaient d’être plus prêts que jamais avant même le premier coup de sécateurs ». Cette capacité d’adaptation et de réaction, c’est le nerf de la guerre, pour un métier qui nécessite de remettre chaque année les compteurs à zéro. Et aux yeux de David Suire, né en Charente-Maritime dans une famille de viticulteurs bouilleurs de cru et qui dirige par ailleurs depuis 2015 le grand cru classé de Saint-Émilion Château Laroque, c’est tout le sel d’une vie de vigneron qui continue de s’écrire avec passion.

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