Récolte catastrophique entre Jouques et Rians

Année noire pour la vallée au pied du massif de la Vautubière face à la montagne Sainte-Victoire. Suite au gel d’avril qui a annihilé entre 70 et 80?% de la récolte, les domaines de ce secteur des Coteaux-d’Aix-en-Provence envisagent d’acheter des raisins ou de faire l’impasse sur une couleur.

« En 50 ans, c’est du jamais vu. Le gel du siècle et on a pris cher par ici » déplore Philippe Bru, directeur œnologue du château Vignelaure sur le plateau de Rians. « C’est horrible, on a perdu au moins 80?% de la récolte », estime Peter Fischer à Revelette, qui travaille désormais avec ses deux enfants, Clara et Hugo. « Ma fille m’a dit en commençant les vendanges : « papa, tu ne peux pas finir sur un millésime pareil. Il va falloir rester encore un peu. » Alors je m’y recolle avec eux. »  Le gel d’avril n’a pas été extrêmement froid, autour de -4°C, d’autant plus que ce secteur des Coteaux-d’Aix-en-Provence est habitué à enregistrer régulièrement de telles températures en janvier et février.

Trois jours fatidiques

Mais ces trois jours fatidiques, le 19, le 22 et 24, faisaient suite à un mois de mars beaucoup plus clément que d’habitude, entre +3 et +7°C. « La végétation avait pris un mois d’avance, les bois se sont gorgés d’eau et de sève. Et quand le gel apporté des vents enneigés des Alpes avec le mistral est descendu sur les vignes, les bois ont éclaté, analyse Peter Fischer. Et non seulement le premier œil a gelé, mais le 2? n’a donné que des mini grappes. Tous les porteurs sont secs et n’ont produit aucun raisin ni même de feuilles et les jeunes plantations ont été fragilisées. Cela a touché quasiment toutes les parcelles sauf celles près des bois qui emmagasinent la chaleur et quelques bouts de coteaux en hauteur. » 

Peter Fischer avec ses deux enfants, Clara et Hugo ©DR

Ne pas perdre ses clients

À part le gel de 1991, la situation n’a jamais été aussi dramatique. Elle a impacté les domaines entre Jouques et Rians, notamment Vignelaure, Revelette, La Realtière, Saint Bacchi, Pigoudet, les Toulons… Seul Revelette est assuré. Depuis 2017, les Douanes accordent des autorisations exceptionnelles pour l’achat de raisins dans la même appellation quand la commune est déclarée sinistrée. Ce qui est le cas de Jouques. « Je ne vais pas le faire pour Le Grand Blanc et Le Grand Rouge, trop identitaires, mais pour les cuvées Château, on n’a pas le choix – On mettra un petit mot sur la contre-étiquette pour l’expliquer. Car sur un marché déjà morose, si on ne fournit pas ses clients, on perd sa place sur les marchés ». Les Fischer ont heureusement un peu de stocks de rouges de 2021, 2022 et 2023 en cave, « ce qui va permettre d’étaler les pertes dans le temps »

Impasse sur le rouge

Vignelaure a également des rouges et un peu de blancs en réserve. Philippe Bru a donc fait un choix radical : il ne produira pas de rouge sur ce millésime. « Toutes les parcelles destinées au rosé ont gelé. On va donc vinifier tous les raisins noirs en rosés, forcément plus vineux et structurés, car avec moins de grenache, mais plus de syrah et de cabernet sauvignon. Économiquement, on ne peut pas se permettre de perdre des marchés export (45?% des ventes) qui commandent surtout cette couleur, à presque 100?%, même aux États-Unis et au Canada. »

La polyculture en solution

Mais au-delà de cette année exceptionnelle, les gels mortifères risquent de se reproduire de plus en plus souvent avec le dérèglement climatique, sans compter la grêle qui impacte quelques parcelles tous les 4-5 ans. « Ça commence à faire beaucoup, reconnaît Peter Fischer. On réfléchit donc à diversifier le vignoble, peut-être avec d’autres cultures. J’ai planté l’an dernier un verger avec des pêchers, des pistachiers, des noisetiers… mais ils ont aussi gelé cette année. »


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