[ENTRETIEN] « Faire de Lascombes le château le plus iconique de Margaux »

Repris il y a tout juste un mois par de nouveaux investisseurs américains, le château Lascombes, 2ème Grand Cru Classé 1855 (Margaux), entre dans une nouvelle ère pleine d’ambition et de projets. On entre dans le détail avec le nouveau directeur associé de la propriété, le Maître Sommelier Carlton McCoy, qui a accordé un entretien à « Terre de Vins ».

C’est sans doute l’une des transactions les plus spectaculaires de ces dernières années dans le monde du vin. Il y a quelques semaines, le château Lascombes, jusqu’ici détenu par la MACSF (Mutuelle d’assurances du corps de santé français) et dirigé par Dominique Befve, était repris par de nouveaux investisseurs, la famille Lawrence, à la tête notamment de plusieurs vignobles en Napa Valley via leur structure Lawrence Wine Estates. Pour la première fois, Carlton McCoy, Maitre Sommelier et directeur associé du « nouveau Lascombes », prend la parole.

Carlton McCoy, vous êtes associé à la famille Lawrence au sein de Lawrence Wine Estates, qui a récemment racheté la majorité du capital de Château Lascombes. Quel est votre parcours dans le vin ?
Je suis originaire de Washington DC, j’ai d’abord suivi une formation de cuisiner, très spécialisée dans la cuisine française, pour vraiment devenir un « French Chef ». J’ai travaillé à New York dans quelques établissements très réputés, puis je me suis intéressé de plus en plus au vin car il est difficile de prétendre maîtriser la cuisine française si l’on ne maîtrise pas également le sujet du vin. Je suis tombé amoureux du vin, et j’ai passé le concours de Maître Sommelier à 28 ans. Cela m’a permis d’accéder à la direction d’une très grande cave de prestige dans la station de sports d’hiver d’Aspen, dans le Colorado. J’y supervisais l’une des plus belles cartes des vins des États-Unis, avec de grands bourgognes et de grands bordeaux… C’est là que j’ai rencontré en 2016 Gaylon Lawrence et sa famille.

À cette époque, la famille Lawrence n’avait pas encore commencé à investir dans le vin ?
Non, leurs activités se concentraient essentiellement sur l’agriculture et les investissements bancaires. Mais Gaylon était passionné de gastronomie vin, et cela a créé une forte connexion entre nous. Nous avons eu en 2018 l’opportunité d’acquérir Heitz Cellar en Napa Valley, puis d’autres domaines historiques de la région (au nombre de six aujourd’hui), avec une philosophie particulière : ne produire que des vins que nous aimons, qui sont dans un style « traditionnel » et non « moderne » de Napa, c’est-à-dire des vins sur la fraîcheur, l’acidité, plutôt que sur l’extraction et la puissance. C’est ce que nous aimons boire, et ce que nous voulons produire – nous sommes des « wine lovers » avant tout – et nous sommes arrivés en Napa Valley avec le souhait d’inspirer un retour vers ce style de vins. Finalement c’est ce qui nous a également conduits à venir ici, à Lascombes : nous aimions déjà les vins, sans quoi nous n’aurions pas investi.

Qu’est-ce qui vous a spécialement attirés, Gaylon Lawrence et vous, vers Bordeaux et le vignoble de Margaux ?
Il y a toujours eu une relation particulière, depuis des siècles, entre les États-Unis et le vignoble de Bordeaux. Il y a ici une très riche histoire, c’est une région qui produit des vins exceptionnels – à titre personnel, j’ai toujours eu un faible pour les vins de Margaux et l’une de mes premières grandes émotions de dégustateur était un Château Palmer 1989. Donc, quand l’opportunité de reprendre Château Lascombes s’est présentée à nous, nous ne pouvions la laisser passer. Nous arrivons ici avec un immense respect pour la longue histoire de la propriété, ce qui y a été accompli, et pour toutes les personnes qui y travaillent, à commencer par Delphine Barboux qui va continuer de diriger tout le volet production de la vigne au chai. Nous sommes actuellement en phase de recrutement d’une personne qui assurera la direction générale de la propriété. Même si Gaylon Lawrence et moi-même voulons pleinement nous impliquer, nous ne pouvons être présents en permanence, aussi nous voulons nous appuyer sur l’équipe en place, en qui nous pouvons avoir confiance et avec laquelle nous sommes en train de définir une vision, une philosophie commune pour les années à venir. C’est une aventure collective passionnante qui se dessine.

Quel est le nouveau cap que vous entendez donner à Château Lascombes ?
D’abord tout part de la vigne, de la viticulture. C’est une approche « vigneronne » que nous voulons avoir avant tout. Quand nous sommes arrivés, nous avons passé des heures dans les vignes, pour appréhender ce terroir, et ce vignoble qui est assez vaste (120 ha en appellation Margaux et 10 ha en appellation Haut-Médoc, NDLR). Si votre viticulture n’est pas précise, votre vin ne sera pas grand – et il est important que la personne qui est à la vigne soit aussi au cuvier et au chai, que ce ne soient pas des mondes séparés. Il faut une seule vision, du pied de vigne à la bouteille. Notre priorité est donc de gagner en précision et en exigence à la vigne, pour avoir la meilleure matière première à vinifier. Nous avons la chance que Lascombes se soit récemment doté d’un nouvel outil technique, qui permet d’accompagner cette quête de précision. Le millésime 2022, qui est le premier que nous accompagnons, est un extraordinaire encouragement : c’est un très beau millésime que nous avons hâte de présenter en primeurs.

C’est un challenge particulier, de continuer à écrire l’histoire d’un domaine aussi ancien que Lascombes – surtout lorsqu’on parle d’une transaction aussi élevée* ?
Nous ne commentons pas le prix de la transaction. Bien sûr, c’est une immense responsabilité de reprendre le flambeau dans une telle propriété. L’image, la réputation d’un domaine est avant tout définie par la qualité de ses vins, donc nous nous devons de mettre en bouteille chaque année quelque chose qui n’est pas seulement bon, mais grand. Notre premier objectif est, je le répète, de perfectionner notre approche viticole, de conquérir tous les points de détail qui vont nous permettre de faire progresser les vins de Lascombes, pas en regardant ce que font les voisins mais en définissant ce qui constitue, pour nous, le meilleur. Cela passe certainement, aussi, par le fait d’être plus sélectifs dans ce que nous estimons devoir aller dans le premier vin, au risque d’en réduire les volumes en fonction des millésimes. Nous ne sacrifierons pas la qualité. Nous avons l’ambition de faire de Château Lascombes la propriété la plus « iconique » de Margaux. Pour y parvenir, nous avons des fondations très solides, avec un grand terroir sur lequel nous appuyer. Mais tout le monde va devoir se retrousser les manches pour y parvenir, et nous allons y parvenir.

Avez-vous l’intention de redéfinir la stratégie commerciale de Château Lascombes et, à terme, son positionnement prix ?
Le prix n’est certainement pas la chose dont il faut parler en premier. Si l’on indexe ses décisions sur un prix que l’on a défini, cela ne peut pas marcher. Il faut privilégier la qualité avant tout, et si le vin est bon, les prix suivront, les marchés suivront. Concernant la stratégie commerciale, Lascombes est déjà diffusé dans le monde entier grâce aux négociants bordelais, mais il y a certainement des ajustements à réaliser. Tout d’abord, nous voulons que Lascombes redevienne un château de référence ici, en France. C’est très important pour moi. Ensuite, compte tenu de la connexion évidente avec les États-Unis, nous pensons que nous pouvons encore renforcer la présence sur le marché américain. Et si le succès est au rendez-vous pour Lascombes, ce sera forcément vertueux pour Margaux, et pour Bordeaux.

Quel regard portez-vous de façon générale sur la situation des vins de Bordeaux, notamment aux États-Unis ?
Chaque région viticole, chaque appellation connaît des cycles faits de hauts et de bas, de périodes fastes et d’autres moins, et Bordeaux n’y échappe pas. Ces derniers temps, dans un contexte très compétitif où l’on voit arriver de très bons vins du monde entier, les vins bordelais étaient un peu en perte de vitesse, mais on assiste à un vrai retour en force de Bordeaux récemment. Le taux de change, notamment, joue en faveur d’une reprise sur le marché américain. Et puis il y a toute une nouvelle génération d’amateurs qui constituent un énorme potentiel de conquête : ils sont avides de découverte, de créer leur propre expérience, et Bordeaux a les arguments pour les séduire.

Quelle va être l’implication de la MACSF, qui possédait intégralement Château Lascombes jusqu’ici et garde environ un tiers de l’actionnariat ?
Nous avons de très bonne relation avec les gens de la MACSF, et nous nous sommes très bien entendus à chaque étape de cette reprise. Ils gardent en effet des parts dans la propriété mais n’interviennent plus dans l’opérationnel, qui nous revient. Ils ont fait du bon travail ici, avec beaucoup de fierté, et ils ont estimé que nous allions respecter cet endroit, et continuer à le tirer vers le haut.

Quels sont les autres projets prioritaires que vous allez mener ici ?
Nous allons entreprendre de grands travaux de rénovation du château, qui a besoin d’être rafraîchi. Nous ne voulons pas le dénaturer, il n’y aura pas de vaisseau spatial sur le toit, mais respecter son style classique tout en lui apportant une touche de fraîcheur et de modernité. C’est une très belle propriété, qui est une véritable « vitrine » pour le vignoble margalais, et il est important pour un Grand Cru Classé de Bordeaux d’ouvrir ses portes. Tout en étant sélectif, bien sûr : Lascombes est un « luxury estate » et nous entendons maintenir ce standing, mais il faut que les amateurs du monde entier puisse venir ici, rencontrer nos équipes, pour être encore plus des ambassadeurs de nos vins. C’est quelque chose qui est naturellement dans l’ADN californien, mais c’est aussi un pan important de ce que nous voulons développer dans les années à venir.

*Le montant évoqué du rachat de Lascombes se situerait au-dessus de 200 millions d’euros d’après les estimations du prix du foncier sur un Grand Cru Classé de Margaux.

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