Les premiers coups de sécateurs ont été donnés le 7 septembre dans l’Aube. Cette semaine, c’est la Marne qui démarre doucement. La récolte s’annonce peu abondante, mais du point de vue qualitatif, pour l’instant, tous les espoirs sont permis. Et certains, tout en restant prudents, n’excluent pas que l’on ait entre les mains le millésime de la décennie en Champagne, même si bien-sûr, il est trop tôt pour le dire.
La campagne viticole a été rude, mais comme le souligne Julian Gout, le chef de caves du champagne Ayala, « c’est un millésime qui a pris le temps, avec une maturation qui n’a pas été trop rapide. On a eu des excès d’eau, mais pas de soleil. Lorsque l’on regarde les paramètres analytiques, on se rapproche des bases de 2008, 2012 et 2016, trois millésimes exceptionnels. Nous avons aujourd’hui un beau niveau d’acidité. Sur les premiers marcs que l’on rentre, on est à 7,5 g, et il faut maintenant aller chercher un degré correct. Nous avons déjà rentré du 10 degrés potentiel, je pense que les 11 ou 11,5 seront rares, à part sur des parcelles un peu atypiques. »
D’un point de vue sanitaire aussi, même s’il y a peu de raisin, le résultat est pour l’instant très satisfaisant. « C’est l’inquiétude qui plane, mais si vous prenez 2008, à degré équivalent (autour de 9), il y avait 15 % de fréquence botrytis, aujourd’hui on est autour de 5 %. On a une chance incroyable avec la météo actuelle. Les raisins sont au frais la nuit, et la journée il y a quand même de beaux rayons de soleil, ce qui permet, si on arrive à retarder un peu la cueillette, d’aller chercher la maturité supplémentaire dont on a besoin. »
En réalité, c’est là tout le problème. La maturation a été très régulière jusqu’à la semaine dernière où une météo hivernale avec des températures très fraîches et un long épisode pluvieux ont interrompu momentanément cette belle cinétique.
Et si celle-ci reprend aujourd’hui, cet incident a mis par terre à la dernière minute tout le planning qu’avaient mis en place les vignerons pour leur cueillette. « La difficulté, c’est que lorsque les équipes sont là, elles sont là ! Une fois le rouleau compresseur de la vendange lancé, il est difficile de l’arrêter. Je pense très sincèrement que nous avons peut-être entre les mains le plus beau millésime de la décennie, mais il ne faut pas le gâcher. L’enjeu est de savoir attendre. La réponse sera à la fin sur le degré potentiel. On le voit aujourd’hui, il y a un écart gustatif très fort entre les chardonnays qui sont encore à 8,5 et ceux qui sont à 9,5. »
On notera que le petit épisode de pluie de la semaine dernière n’a pas eu que des inconvénients, comme le souligne Julian Gout. « Aucun secteur n’a été trop arrosé et la petite dilution que cela a apporté était la bienvenue, cela a fait gonfler les raisins ce qui a permis de retrouver des poids plutôt intéressants et inespérés. »
Chez Henriot, Alice Tétienne fait le même constat. « Nous avons déjà repoussé deux fois la date de la cueillette. Et nous sommes loin d’être les seuls ! Nous commençons tout juste à couper. Nous sommes fiers de ce que nous rentrons, mais nous nous posons la question pour la suite. Parce que c’est hyper hétérogène et contrairement à d’habitude où on arrive à avoir entre les différents cépages et les différents terroirs, un circuit tout le long cohérent. Là, on sent qu’il faudra faire une pause de quelques jours avant de cueillir les derniers chardonnays, ce qui sera inédit chez nous. »
Côté dégustation de baies et de jus, Alice confie : « Je trouve que sur les pinots, on a des beaux niveaux de fruit, avec des acidités qui sont superbes et auxquelles on n’est plus très habitués. Du coup, cela donne un peps incroyable et une impression de stature. C’est très prometteur. Les meuniers sont connus pour être séduisants, chaleureux, et pour donner malheureusement parfois tout, tout de suite. Cette année, au contraire, avec les acidités que l’on a, on a plutôt des meuniers sur les agrumes et cela pourrait produire des vins qui en gardent un peu sous la pédale. Les chardonnays, pour ceux qui commencent à se montrer, notamment dans le Sézannais, sont beaux, grands, ça muscate. Sur la Côte des Blancs, à Chouilly, où on a une parcelle qui devrait arriver bientôt à maturité, c’est précis, c’est ciselé. Tu as envie de regoûter d’autres baies dans la foulée. »
Côté quantités, le bilan est très contrasté selon les régions. La Côte des Bar, comme souvent, a subi de plein fouet les gelées printanières. Le mildiou et la coulure ont fait le reste. Dans certains secteurs, il n’y a littéralement rien à ramasser, surtout lorsque les vignerons étaient en bio. Oriane Carreau à Celles-sur-Ource témoigne : « Je n’ai vendangé que 1 300 kilos pour six hectares ! » La tentation était grande pendant l’été de tirer une cartouche de produits conventionnels, mais elle n’a pas trahi ses principes. La peur de devoir repartir à zéro, en sachant qu’il faut trois ans pour parvenir à la certification. « Être en bio, c’est savoir que la nature exige parfois des sacrifices, même si malheureusement le consommateur lorsqu’il compare les prix n’en a pas toujours conscience. »
La Marne est la région le plus épargnée. Sur ce secteur, Odilon de Varine, le chef de caves de la Maison Gosset, estime que les vignerons dans l’ensemble parviendront à atteindre le rendement d’appellation fixé cette année à 10 000 kilos. En revanche, dans l’Aisne, en particulier autour de Trélou-sur-Marne, un vignoble qui a subi un violent orage au début de l’été, les vignerons sont davantage en difficulté et certains pressoirs pourraient ne même pas ouvrir leurs portes.
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