Alors que sort en salles son nouveau film « Megalopolis », Francis Ford Coppola demeure, à 85 ans, un monument du cinéma. Mais son immense talent ne se limite pas au 7ème art : depuis près d’un demi-siècle, il est aussi propriétaire d’un vignoble en Californie, Inglenook. Gros plan sur un infatigable bâtisseur qui a toujours eu la passion pour moteur
« Je suis certain d’avoir raté bon nombre d’opportunités, et je vais en rater d’autres, mais j’en ai également saisi beaucoup. Au bout du compte, tout se résume à combien j’en ai saisi, et combien j’en ai raté. » Cette citation de Francis Ford Coppola est extraite du passionnant documentaire « Aux cœurs des ténèbres », consacré par son épouse Eleanor au tournage chaotique du film « Apocalypse Now ». Elle résume assez bien la personnalité de ce cinéaste majeur, qui n’a eu de cesse de repousser les limites de sa propre créativité, au risque de s’y brûler.
Pour les cinéphiles, le nom de Coppola rime bien sûr avec la légendaire trilogie du « Parrain », avec des œuvres phares comme « Conversation secrète », « Outsiders » ou « Dracula », mais aussi avec des paris risqués qui ont failli tout lui coûter : l’immense « Apocalypse Now » bien sûr, ou encore « Coup de Cœur ». Cette carrière atypique – auréolée tout de même de deux palmes d’or et cinq oscars – s’enrichit d’un nouvel opus avec la sortie de « Megalopolis ».
Pour financer lui-même les 120 millions de dollars nécessaires à la production de ce projet dont il rêve depuis plus de quarante ans, le réalisateur a sacrifié une part de l’autre grande passion de sa vie, en vendant sa marque Francis Ford Coppola Winery, et la large gamme de vins qui allait avec. Mais il a conservé son domaine historique d’Inglenook, là où tout a commencé.
En 1975, suite au triomphe des deux premiers volets du « Parrain », les Coppola cherchent un pied-à-terre dans la Napa Valley. Ils tombent amoureux d’une propriété de Rutherford, berceau de l’une des plus anciennes histoires viticoles de Californie. Cette histoire remonte à 1879, lorsque le capitaine finlandais Gustave Niebaum, ayant fait fortune dans le commerce de fourrures entre l’Alaska et San Francisco, fait l’acquisition d’Inglenook. Pour cet aventurier dont le rêve aurait été de posséder un domaine en France, aucun investissement n’est de trop pour donner naissance à son « grand cru » californien. Après le décès de Niebaum en 1908, sa veuve poursuit son œuvre ; puis en 1939, c’est son petit-neveu John Daniel Jr qui reprend les rênes – avant de céder, en 1964, une partie du vignoble et surtout la marque Inglenook. Ainsi lorsque Francis Ford Coppola signe son premier millésime en 1978, c’est sous le label Niebaum Coppola ; il lui faudra plus de trente ans pour récupérer le nom d’origine qui figure aujourd’hui sur l’étiquette.
Bien décidé à perpétuer cette histoire, Coppola reconstitue d’abord le vignoble originel, et l’agrandit même, pour atteindre actuellement un peu moins de 95 hectares – le domaine couvrant une surface totale de 700 hectares. Il relance la production et, en 2011, confie la direction technique à Philippe Bascaules. Ce dernier, en provenance de Château Margaux (dont il a d’ailleurs repris la direction générale en 2017), est séduit par la vision du réalisateur-vigneron. Dans la vaste galaxie des vins estampillés Coppola, Inglenook est un astre à part, qui passionne d’emblée le technicien français : « Ce terroir de Rutherford Bench qui s’étend de Oakville à St. Helena se situe au point de rencontre entre trois plaques tectoniques. Il y avait ici une intense activité volcanique, entre – 6 et – 2 millions d’années. Les sols d’Inglenook se partagent entre cette matrice et une partie plus alluvionnaire. Le climat, qui peut atteindre de fortes chaleurs en été, est tempéré par l’influence du Pacifique et la fraîcheur apportée par les reliefs de cette formation géologique. »
Francis Ford Coppola donne alors carte blanche à Philippe Bascaules pour faire des vins d’Inglenook – et en particulier de sa cuvée phare, Rubicon – un modèle de fine wine californien. En ces années où l’influence du critique Robert Parker est encore énorme, pas facile de se soustraire au style dominant. « Beaucoup de vins de Napa étaient à la fois uniformisés et déséquilibrés car on ramassait les raisins tard, poussant les maturités technologiques jusqu’à obtenir de hauts degrés d’alcool ; mais les maturités polyphénoliques étaient insuffisantes », explique Philippe Bascaules. « Tout l’enjeu consistait à gagner de la précocité, à obtenir des pellicules et des pépins mûrs pour une bonne qualité de tannins, tout en gardant un fruit frais, non confituré, et des niveaux d’alcool maîtrisés ».
C’est ici que toute l’expertise du vinificateur bordelais entre en jeu : taille de la vigne avancée de plusieurs semaines, interdiction de l’irrigation avant le mois d’août, mise en place d’un système d’ombrage pour protéger les raisins du flétrissement, réduction de la surface foliaire, vendanges plus précoces, vinifications aux extractions plus mesurées… C’est en 2013 que Philippe Bascaules estime avoir trouvé pour la première fois la bonne interprétation de ce lieu. Un virage qui, à l’époque, ne plaît pas vraiment à Parker, mais qu’importe : Francis Ford Coppola et son winemaker sont en phase.
Une décennie plus tard, Inglenook fait partie des références de la Napa Valley. Pour la qualité de ses vins (distribués sur la Place de Bordeaux), pour son engagement environnemental, pour son œnotourisme haut de gamme (avec son élégant Athenaeum, salle de dégustation dédiée aux arts), pour son nouveau chai spectaculaire inauguré en 2022… Mais ce qui constitue la singularité d’Inglenook reste son âme : celle de la famille Coppola, qui se retrouve toujours à la propriété et demeure plus liée que jamais après le décès d’Eleanor, au printemps dernier. Au centre de ce petit monde demeure, à 85 ans, la figure de l’irremplaçable parrain.
Une interview de Francis Ford Coppola est à retrouver dans le numéro 99 de Terre de vins, actuellement en kiosque.
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