L’entretien exclusif d’Elise Losfelt, nouvelle cheffe de caves de Charles Heidsieck

Alors que la Maison Charles Heidsieck nous annonçait voici deux semaines la nomination d’Elise Losfelt en tant que cheffe de caves, nous avons voulu rencontrer celle qui sera désormais la gardienne du style de ce très cher Charlie. Entre deux dégustations avec son prédécesseur Cyril Brun, elle a accepté de nous recevoir pour évoquer son parcours.

Comment t’es venue l’idée de faire carrière dans le monde du vin ?

A la suite de ma grand-mère, ma mère a repris les rênes du château de l’Engarran en 1984. La première mise en bouteille ne datait que de 1976. Ingénieure agronome, elle avait mené jusque-là une carrière dans la recherche sur les tomates à l’INRA, mais elle n’était pas œnologue. A l’époque, l’Engarran était une petite entreprise familiale, et comme toute entrepreneure, lorsqu’elle rentrait le soir, elle continuait à y penser. On parlait donc évidemment beaucoup de vin à la maison. Cela m’a marquée. Aussi, évidemment, lorsque j’étais enfant et que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais : « comme Maman ! ».

Tu as toujours persévéré dans cette voie ?

L’adolescence est passée par là, le besoin de se distinguer de ses parents. J’ai voulu suivre mon chemin, lequel était guidé par une curiosité scientifique très forte. J’avais envie lorsque l’on me parlait du fonctionnement des arbres, des animaux, de comprendre et que l’on m’en dise toujours davantage. J’aimais aussi beaucoup les mathématiques. Tout cela m’a amené à l’Agro-Paris. En 2008, alors que je m’apprêtais à entrer en troisième année, est survenue la crise des subprimes. Je me suis rendue compte qu’il existait tout un monde que je ne connaissais pas, celui des marchés financiers, et qu’il avait un impact majeur sur l’économie réelle. Cela m’a conduite à me spécialiser en économie et gestion. J’ai commencé un stage dans une entreprise spécialisée dans les investissements financiers. Elle hébergeait une startup qui travaillait dans la recherche macro-économique et publiait des newsletters. L’idée était de donner un peu plus de vue globale à des opérateurs dont la démarche n’était souvent dictée que par les algorithmes. Intellectuellement, j’étais très épanouie. Mais c’était à Paris, j’étais devant mon ordinateur toute la journée, et ceux qui travaillaient avec moi voyaient bien que je ne tenais pas en place, j’avais tout le temps besoin de sortir, de prendre l’air. J’avais aussi besoin de toucher ce que je faisais. J’ai décidé de reprendre des études pour faire le master vigne et vin à l’Agro-Montpelier et devenir œnologue. Après avoir ouvert puis fermé la porte à cette carrière, j’ai voulu la rouvrir cette fois en grand.  Dès les premiers cours et surtout dès le premier stage à Majorque, j’ai eu cette sensation incroyable d’être parfaitement à ma place, alignée…

Tu es originaire d’un vignoble plutôt tourné vers le vin rouge avec des cépages comme le Carignan et la Syrah qui ont l’accent du sud, comment es-tu arrivée chez Moët & Chandon ?

Le champagne était effectivement aux antipodes de ma culture, mais j’ai postulé sur les conseils de ma sœur qui travaillait chez LVMH. J’ai ainsi été recrutée en tant qu’œnologue communicante. Pendant trois ans, j’ai fait beaucoup de tours du monde. L’expérience était fabuleuse ! Toutefois, ce qui m’intéressait, c’était la technique. C’est parce que je suis nourrie techniquement, que je suis ensuite en mesure de partager, que mon travail de communicante peut être nourri. L’opportunité de devenir responsable des vinifications s’est alors présentée. Ce poste très transverse m’a amené à travailler avec les chefs des caves des quatre maisons, avec une mission d’expertise sur tout le process, du démarrage des fermentations des moûts jusqu’au dégorgement. Même si je faisais partie du panel de dégustateurs, je ne procédais pas aux assemblages. J’ai vu ma mère faire les siens, prendre ses décisions, se gratter la tête et parfois ne pas en dormir la nuit. Je me rendais compte que mon poste était très épanouissant techniquement, mais qu’il commençait à me manquer quelque chose. J’avais envie de mettre davantage les mains dans le moteur, d’aborder le terrain de la création. La vie est incroyable car c’est justement à ce moment-là que j’ai été contactée pour devenir cheffe de caves de Charles Heidsieck.

Qu’est-ce qui t’attirait chez Charles Heidsieck ?

Ce que j’en voyais, c’était d’abord le vin. A l’aveugle, dans les dégustations techniques des cuvées concurrentes que nous faisions chez Moët & Chandon, le Brut réserve se démarquait à chaque fois, et nous semblait toujours hors catégorie. C’est un champagne que l’on reconnaît systématiquement parce qu’il ouvre une autre dimension… Pour l’anecdote, le jour où j’ai rencontré mon mari, je représentais Moët & Chandon à un salon à Paris. Un ami et collègue, qui savait que j’étais célibataire, s’était mis en tête de me présenter quelques-uns de ses amis. J’avais appris que pour les initiés qui en faisaient la demande, Charles Heidsieck sur le stand voisin avait ramené une bouteille de Blanc des millénaires 1995. L’affluence sur notre stand s’étant calmée, nous sommes allés profiter de cette aubaine. C’est ainsi le premier champagne que j’ai dégusté avec mon mari ! Nous en avons racheté plus tard pour annoncer nos fiançailles à nos parents et mon mari pour plaisanter m’a dit au moins deux ou trois fois : « tu verras, un jour tu seras cheffe de caves de Charles Heidsieck ! » Je n’en croyais pas un mot et lorsque le cabinet de recrutement m’a dit que la maison qui m’avait contactée était Charles Heidsieck, je suis tombée de ma chaise.

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